Ajouter un extrait
Liste des extraits
Le jour se levait progressivement faisant scintiller la Baltique gelée. Les cœurs étaient lourds. Igor sentait le sien tambouriner dans son thorax.
L’offensive allait être lancée, tous le savaient. Ils allaient se battre contre leurs frères, pour un idéal politique, pour des guerres de pouvoirs qui n’avaient que faire du peuple qui mourait de faim. Il avait honte de cette étoile rouge brodée sur son poitrail.
La sueur qui perlait le long de ses tempes faisait glisser son casque… La peur, fidèle compagne, planait main dans la main avec l’odeur de la mort.
Une seule idée obsédait Igor : rentrer.
Rentrer et serrer sa femme dans ses bras. Rentrer et s’envelopper dans son parfum, entendre son cœur battre…
Il sortit sa photo d’une poche et la regarda encore, et encore ; sa gorge se noua et il vit que sa main tremblait. Il aurait tout donné pour la revoir.
Un cri perça le silence. Le signal.
Plus de marche arrière, plus de fuite possible. Derrière eux, la police veillait à ce qu’ils avancent.
Il remit vite la photo dans sa poche, près du cœur, respira profondément puis déchira l’aube d’un gémissement tout en se hissant vers l’avant…
Après quelques secondes de confusion, ses yeux distinguèrent enfin des silhouettes dans cette brume matinale, accentuées par les premiers coups de feu qui résonnèrent. Les premiers cris de douleurs retentirent, le bruit lourd de corps sur la glace, le vacarme des mitrailleuses.
Il n’eut pas le temps de réagir lorsqu’il vit l’ombre face à lui. À peine le temps de se dire qu’il était cuit. Voilà à quoi s’était donc jouée sa vie : une seconde d’inattention. Une seconde d’horreur à voir ses compagnons d’infortune s’écrouler.
La balle le transperça.
Il poussa un léger cri, plus de surprise que de douleur. Et il comprit très vite que tout s’arrêtait là, loin d’elle.
Il pensa à Anna. Il revit son visage d’ange, ses lèvres pulpeuses et douces… Pourquoi ? Pourquoi cette guerre ? Pourquoi lui ? Il pensa aux enfants qu’ils n’auraient pas, à cette femme désormais seule, veuve, ravagée par sa mort, à cette promesse idiote qu’il lui avait faite de revenir vivant.
— Anna… prononça-t-il dans un dernier soupir.
Et sous les yeux horrifiés d’un jeune marin, il sentit le froid l’avaler pour toujours, pétrifiant ses larmes telles des perles.
Afficher en entier