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Dans une telle promiscuité, je n'avais guère de moyen d'échapper au feu de sa passion. La seule façon pour moi d'y survivre était d'imaginer que les faits arrivaient à une tierce personne, et que je n'étais qu'un simple observateur. Ce qui était fort difficile à faire avec la langue de frère Roberts à moitié enfoncée dans ma gorge.

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Premiers souvenirs

Je suis né le 1er novembre 1950, le jour de la Toussaint. On pense souvent qu'être né à cette date porte chance, mais une exception a dû se produire dans mon cas. Peu après ma naissance, j'ai été baptisé dans une paroisse environnante afin d'éviter le regard des voisins. Après quoi, on m'a rapidement laissé entre les mains des Sœurs de la Charité du foyer de Sainte-Philomena à Stillorgan, dans le comté de Dublin.

Mon tout premier souvenir est celui d'une grande pièce où j'étais enfermé, et dont les murs étaient couverts d'images de Jésus et de la Vierge Marie. J'étais terrifié par leur regard constamment posé sur moi. Dès que la porte s'ouvrait, je me précipitais dans le couloir. Des nonnes surgissaient alors des autres pièces pour essayer de m'attraper. Elles finissaient par me coincer au bout du couloir, et j'étais raccompagné jusqu'à ma chambre où le verrou se refermait derrière moi.

Je me souviens vaguement de mon apprentissage de la propreté, assis sur un pot jaune, les yeux levés vers un ciel bleu et clair. Pour me distraire, je m'amusais à transformer en animaux imaginaires les quelques nuages blancs qui y passaient.

Mon meilleur ami s'appelait Jimmy. C'était un adorable garçon aux cheveux blonds, avec lequel je partageais tout. Nous ne nous quittions pas de la journée, que ce soit en classe, dans la cour de récréation, au réfectoire ou à la chapelle ; la nuit, il dormait dans le lit jouxtant le mien. Je me rappelle avoir appris l'alphabet puis les tables de multiplication à ses côtés. Il y eut aussi ces quelques jours où toutes les fenêtres furent occultées par des couvertures après que Jimmy et moi, ainsi que d'autres garçons, avions attrapé les oreillons.

Mon nom de famille agaçait les nonnes, qui avaient toutes les difficultés à le prononcer en classe. À ce jour, je ne me souviens du nom d'aucune de celles qui se sont occupées de moi à Sainte-Philomena. Dans l'ensemble, elles m'ont traité de manière totalement impersonnelle, ne témoignant que très peu de signes d'amour, de tendresse ou même de gentillesse. Je les trouvais très strictes et distantes. Les discours sur l'amour de Jésus et de sa mère Marie abondaient, mais cela n'allait pas plus loin. Leurs efforts se portaient davantage sur les affaires spirituelles, surtout à la chapelle. J'avais remarqué que leurs visages s'illuminaient seulement lorsqu'elles priaient. Ce n'est qu'alors que l'on pouvait espérer obtenir un demi-sourire de leur part, si l'on croisait leur regard au bon moment. La prière était l'essence même de leur être, et elles se faisaient un devoir de m'enseigner à prier avec un enthousiasme similaire. Dans cette optique, elles épinglaient des images de Jésus et de Marie au-dessus de mon lit et m'incitaient à les embrasser avant de me coucher. Pour ma part, un sourire de Jimmy suffisait à me faire passer une bonne nuit.

Je ne me souviens pas que les nonnes m'aient jamais lu d'histoire avant de dormir, qu'elles m'aient bordé dans mon lit ou donné le moindre baiser. Le contact physique était proscrit, à l'exception des punitions. Pendant toutes ces années, j'ai eu le sentiment qu'elles étaient trop préoccupées par leurs prières pour se soucier de mes émotions et de mon développement personnel. De toute façon, j'avais Jimmy, que j'aimais plus que Jésus et Marie ensemble, quoi que cela puisse signifier.

Un soir, alors que je quittais la chapelle après la bénédiction, je demandai à la révérende mère ce qu'était une mère. Ma question parut la mettre dans l'embarras, et elle m'envoya rapidement dans le couloir pour aller souper. Outré, je me promis de ne plus jamais lui poser la moindre question. Quelques jours plus tard, un prêtre entra dans la salle de classe, et nous nous levâmes tous comme un seul homme. Avec beaucoup de solennité, il nous annonça que nous ferions bientôt notre première communion. Cela ne m'évoqua pas grand-chose, à part que l'image de Jésus accrochée au mur serait bientôt vivante dans mon ventre.

Jésus, dit l'homme, allait en effet bientôt venir en nous, car Il nous aimait passionnément, et ce jusqu'à la mort. Je voulus demander ce qu'était la mort, mais la sœur enseignante me jeta un regard qui m'en dissuada. J'ai toujours eu envie de poser des questions, même à cet âge. De plus, nous dit le prêtre en pointant du doigt le crucifix cloué au mur, les enfants – oui, même nous – avaient une place privilégiée dans le cœur de Dieu et de son fils Jésus. L'association des mots Jésus et Dieu me jeta dans la confusion – et je n'avais pas encore entendu parler du Saint-Esprit. Jésus, me disais-je, ne doit quand même pas pouvoir aimer Jimmy plus que moi je ne l'aime ? Cet amour était si fort que personne, pas même Jésus, ne pouvait s'y immiscer. Parfois, je sentais le regard de Jimmy posé sur moi sans même le regarder. J'aimais ce sentiment.

Le jour des visites, quand Jimmy recevait du monde, je l'accompagnais systématiquement. Il n'y avait jamais de visiteurs pour moi, et Jimmy refusait de voir les siens tout seul. Malgré tout, il était toujours bouleversé quand ceux-ci s'en allaient. Le plus souvent, c'était une grande et belle femme avec un chignon et un collier de perles qui venait le voir. Je ne compris jamais le lien qui l'unissait à Jimmy, lequel se montrait plutôt mal à l'aise avec elle. Elle apportait toujours des friandises. Je m'amusais par terre en en dégustant quelques-unes tandis que Jimmy, embarrassé, restait assis sur les genoux de cette femme, qui le serrait fort contre elle. Il gardait son calme tant qu'il pouvait me voir.

Un soir que nous jouions dehors, la révérende mère appela Jimmy dans son bureau. La sœur qui surveillait la cour me donna des bonbons, ce qui n'était jamais arrivé auparavant, et me demanda de rester avec elle. Jimmy partait pour une visite ; je mis donc des bonbons de côté dans ma poche pour les lui donner plus tard. Il me sourit et agita la main en emboîtant le pas à la mère supérieure. En attendant, je m'installai pour déguster mes bonbons. L'heure du souper arrivée, j'attendis Jimmy pour lui donner sa part de friandises. Je fus surpris de constater que trois sœurs et la révérende mère assuraient le service ce soir-là. Toujours sans nouvelles de Jimmy, j'interrogeai du regard la mère supérieure. Elle s'approcha de moi ; avec un regard froid, elle m'annonça alors abruptement que Jimmy était parti et qu'il ne reviendrait jamais. Les autres sœurs se tinrent à proximité, prêtes à m'empoigner au cas où je réagirais trop vivement à la nouvelle. Mais ma première réaction fut le choc. Pendant plusieurs minutes, je ne parvins plus à respirer ni à bouger. Puis je me mis à pleurer.

La perte si soudaine de Jimmy et la froideur et l'indifférence affichées par la mère supérieure me plongèrent alors dans une rage dont l'intensité m'effraya moi-même. Je me jetai sur elle et lui lançai les bonbons de Jimmy à la figure avant de lui envoyer des coups de pied et de lui griffer le visage et les mains. Les nonnes tentèrent de m'attraper, mais je courus me réfugier sous une table. L'une des sœurs essaya de m'en déloger à coups de balai. Elle me frappa le haut du crâne, qui se mit à saigner. Je finis par être tiré de mon refuge sans ménagement, puis entraîné dans une pièce voisine dont on verrouilla la porte derrière moi. Ici encore, des images de Jésus et de Marie me dévisageaient. Je leur rendis leurs regards, avec un supplément de colère, de rage et de désespoir.

Je m'assis par terre, assailli par mille questions. D'abord, je voulais savoir pourquoi Jimmy avait été emmené alors que j'étais toujours là. N'aurions-nous pas pu partir ensemble ? Je songeai comme il devait avoir peur sans moi, et l'imaginai pleurant aussi de son côté. Jésus et Marie ne m'étaient d'aucun réconfort, et je n'accordais que peu de crédit aux propos des religieuses selon lesquels Jésus aimait particulièrement les petits enfants. Pour moi, ce n'était que de belles paroles pour nous endormir. (Peut-être est-ce à ce moment-là que je commençai à avoir des doutes concernant Jésus ; cela continue de me hanter, même maintenant.) Je finis par me dire que j'étais responsable du départ de Jimmy. Je ne me remis jamais de cette perte et pleurai pendant des semaines sa disparition.

La révérende mère déclara qu'à la longue, je finirais par oublier Jimmy ; elle avait tort. Si je me résignai amèrement à l'absence de mon ami, cette blessure me changea pour toujours. Je ne retrouvai jamais mon innocence d'alors et devins méfiant. Je rencontrai bien d'autres amis, mais ce ne fut jamais pareil. J'avais décidé de ne plus jamais laisser quelqu'un devenir aussi proche de moi que le fut Jimmy.

Cinquante ans plus tard, mes larmes coulent encore en écrivant ces mots. Je n'ai jamais oublié Jimmy, et j'espère sincèrement qu'il aura eu une belle vie.

La perte de mon ami rima donc avec celle de mon innocence et de mon sentiment de sécurité. Désorienté, effrayé, je me renfermai sur moi. Les religieuses étaient froides et insensibles, et ne faisaient que peu de cas de l'impact émotionnel de cette séparation. Je fus donc contraint de gérer seul ce traumatisme. Autour de moi, les prières se poursuivaient allègrement, ignorant ma souffrance.

Par chance, c'est à cette période que je découvris les livres, qui devinrent vite mes nouveaux amis. Je les serrais contre mon cœur et en observais attentivement les images pour m'aider à comprendre les mots. Les livres me fournirent ainsi la consolation que les nonnes me refusaient. Ils devinrent mon seul centre d'intérêt, et je me réfugiais dans leurs pages dès que l'occasion m'en était donnée.

Avec eux, des lendemains meilleurs étaient enfin possibles.

Le jour de ma première communion s'approchait à grands pas, mais le cœur n'y était pas. Pendant les semaines qui précédèrent l'événement, la révérende mère ne ménagea pas ses efforts pour s'assurer que je connaissais de A à Z mon petit livre vert de catéchisme. J'appris tout par cœur, sans rien y comprendre. Visiblement, elle s'en rendait compte, mais cela ne semblait pas l'émouvoir, du moment que je répondais correctement aux questions du prêtre : Qui est Dieu ? Qui a créé le monde ? Qui était la Vierge Marie ? Qu'est-ce que le péché ? Pourquoi est-il important de se confesser avant de faire sa communion ? Je lui alignai toutes les bonnes réponses. La révérende mère parut grandement soulagée quand le prêtre en eut fini avec moi.

Tous les autres garçons passèrent à leur tour, après quoi la mère supérieure nous informa que notre première communion aurait lieu au mois de mai 1958. Car mai, ajouta-t-elle avec un sourire mielleux, était un mois spécial, celui consacré à la Vierge Marie. Cela me faisait une belle jambe. Mon agacement dut être perceptible, car elle aboya soudain à travers la pièce :

— Clemenger, cesse de me regarder comme ça !

Nous reprîmes tous deux une contenance normale sur le moment, mais sur le fond, aucun des deux ne lâcha du lest. Il n'était plus question que je verse la moindre larme devant elle désormais ; j'arborais plutôt un masque de défiance et de haine. Je ne voulais pas qu'elle oublie ce que signifiait la perte de Jimmy pour moi. Je commençais déjà à me bâtir une armure d'acier, ce qui m'aiderait à affronter les épreuves bien pires qui m'attendaient.

Pour faire une bonne première communion, il fallait se trouver en état de grâce, ce qui impliquait une confession en bonne et due forme. Et jusqu'ici, tout ce qui touchait à la confession relevait plutôt du jeu pour moi. J'adorais rentrer et sortir du confessionnal à toute vitesse quand j'étais dans la chapelle. La boîte noire avait un côté à la fois dangereux et intriguant. Du reste, mon comportement effronté irritait la révérende mère, raison de plus pour que je maintienne cette habitude. La voir perdre son sang-froid valait bien quelques tapes sur les jambes. Je devais ensuite me confesser pour avoir péché par désobéissance délibérée. J'inventais parfois des péchés, ou je les exagérais pour choquer le prêtre. Mais cela ne semblait guère l'amuser, et il se contentait de me jeter un regard désapprobateur. Quant à moi, l'idée de me confesser à un prêtre enfermé dans une boîte noire, avec une toute petite lumière éclairant son visage, m'amusait beaucoup.

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© Michael Clemenger 2009

© L’Archipel, 2014, pour la traduction française

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