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Tu vas, à partir d'aujourd'hui, visiter les loges plusieurs fois par jour. Tu auras l'œil à tout, jusqu'au moindre détail, de la blanchisserie aux latrines, de la cuisine aux tuyaux et aux robinets en passant par l'état de propreté des murs, des lits, des écuelles de ton nouveau quartier et ce, à toute heure du jour et de la nuit.
Ce travail de recensement t'est indispensable pour émerger de ce monde où l'horreur, l'injustice, la famine et la peur règnent en maître. indispensable, ce travail l'est aussi pour endiguer la compassion violente qui te saisit le cœur, pour la transformer, tenter de la convertir en améliorations, fussent-elles minimes, avant d'aller plus loin. Indispensable ce travail l'est enfin pour arrêter le poing de ta colère devant le traitement considéré par les autorités, qu'elles soient royales, policières et administratives, comme allant de soi. L'ignominie pour les fous est dans l'ordre de la nature. Le fou n'est pas un malade. C'est un animal. Un animal peut supporter la chaleur, le froid, la douleur, et toutes les misères de l'existence. "Inutile de le protéger. On n'a ni à le chauffer, ni à le nourrir, ni à le couvrir."
Mais toi, depuis des années tu côtoies les pauvres, les malades et les fous. Tu les connais, tu leur as parlé, tu les as écoutés dans la cour de la Fontaine. Tu as découvert derrière leurs hurlements, leurs incantations, leurs obsessions, leurs délires de grandeur, une lumière dans leurs yeux, une lumière de raison qui, le temps d'une seconde, a su éclairer ce visage, puis cet autre, et encore cet autre.
Afficher en entierTaciturne, secret, toujours obscur (l'histoire officielle ne s'étant pas privée de t'effacer simplement des étagères glorieuses allant jusqu'à écorcher souvent l'orthographe de ton nom), j'ai guetté la trace en apparence la plus insignifiante de ta vie. Le détail le plus fugace devenait pour moi lueur dans les ténèbres de ton existence. Tu as connu la maladie, les humeurs froides comme on disait alors en parlant de la tuberculose qui a mis ta vie en péril ; j'ai séjourné plusieurs années en sanatorium où j'ai failli mourir. Tu es devenu soignant ; je suis devenue médecin. Là s'arrête ce qui nous unit, mais plus tard, en avançant vers toi, je découvrirai autre chose qui me fera ne plus vouloir te quitter : par esprit de survie, par nécessité, par intelligence, par compassion innée, tu as su prendre des chemins difficiles, de ceux que presque personne jusque-là en France n'avait osé fréquenter.»(...)
Source : Canal Académie
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