Extraits

“- Je t’aime, déclara Madoc en se reculant suffisamment pour faire sortir les mots. Je n’ai pas besoin d’excuses. Tout ce dont j’ai besoin, c’est toi.”

Il pressa la gâchette en même temps que Madoc tendait la main et pénétrait dans les ombres ; avec tout ce qui le composait, même les litres qui n’étaient pour l’heure plus dans son corps. Son sang, remis aux gardes comme un sacrement non addictif, les entraîna tous dans cet autre monde froid et gris avec lui.

— Cette pantomime est une perte de temps, dit-il. Pourquoi ne nous dites-vous pas simplement ce que nous allons faire, cardinal.

Madoc leva les sourcils et délivra quelques mots diplomatiques. Avant qu’il n’ait pu sortir plus que le « je ne suis qu’un agent », Dale l’interrompit.

— Garde ta fausse modestie et ta fausse déférence pour une autre fois.

Dale avait la vingtaine depuis deux cents ans. Il ajouta avec force :

— Les Biters font ce qui doit être fait. C’est à cela qu’ils servent. Alors que faut-il faire ?

Il regarda fixement la photo de Nora. Si elle se réveillait, ses yeux seraient gris, comme ceux de Madoc. Il se demanda de quelle couleur étaient les yeux de ce dernier lorsqu’il était encore en vie ; peut-être du même gris que ceux d’Annabelle Franklin, ou comme le brun sépia de ceux de Brian Larkin.

Personne n’avait eu de raison de le remarquer auparavant. Les enfants dhampires aux États-Unis étaient trop rares pour que l’on puisse simplement supposer qu’un enfant pâle était l’un d’entre eux. Surtout lorsqu’il s’agissait d’un enfant pâle issu d’un clan fidèle au Proverbe. De plus, aucun des Anakim n’avait alors de raison de craindre que leurs enfants ne disparaissent. Ils avaient tous été enlevés avant que les meurtres de Waring ne commencent, avant la mort de la famille Aron. Mais en les voyant côte à côte, l’effet était amplifié, sans équivoque, au point que même Quick ne put plus passer à côté.

— Bordel de merde, murmura-t-il. Ses mains s’immobilisèrent une bonne fois pour toutes au-dessus des touches.

— Ce sont tous des dhampires. La merde est sur le point de nous tomber sur le coin de la gueule.

Pally le regarda comme si c’était un idiot.

— Cette personne qu’il connaissait l’a vendu à un monstre qui l’a torturé pendant un an. Il ne peut même plus utiliser son propre nom, car c’est à lui que c’est arrivé, et il ne peut pas davantage faire confiance à ses propres souvenirs, encore moins à ceux des autres. Pourtant, n’a-t-il pas été assez courageux pour penser qu’il pouvait te faire confiance ? Qu’il pouvait faire confiance à un éventuel connard ? Quand toi tu rumines encore une trahison vieille de plusieurs siècles comme si un fermier gallois consanguin avait eu la moindre idée de ce que sa peur vous coûterait à tous les deux ? Espèce de faible bâtard.

Ce n’était pas la douce justification que Madoc attendait. Pendant une seconde, il bafouilla en s’adressant à Pally, puis lâcha d’une voix rauque :

— C’était le fils du boulanger.

— Ça fait toute la putain de différence, alors, ricana Pally.

— Est-elle toujours aussi belle ? De tous, c’est elle qui a le plus perdu lorsqu’ils ont accepté de s’enfermer pour l’Accord. Ce n’était pas le souvenir que Madoc en gardait. Pas tout à fait.

Il posa son whisky. Il n’avait pas eu beaucoup d’effet sur lui, mais la plus grande partie d’une bouteille suffisait encore à lui délier la langue plus qu’il n’aurait dû se le permettre, ne serait-ce qu’en raison de vieilles habitudes sociales.

— Elle n’a pas changé, annonça-t-il.

Ce n’était pas vraiment un mensonge. Le raisin fané dans le linceul de sel s’était rengorgé et n’avait plus eu l’air d’une coquille desséchée grâce au festin offert par le sang de Madoc. Elle pouvait retrouver sa beauté si elle le souhaitait, mais la personne en dessous restait la même monstrueuse salope qu’elle avait toujours été.

— Tu es revenu parmi nous.

— J’étais…

Pally traversa la pièce d’un pas rapide et attrapa Took dans une étreinte vive et affectueuse. Il l’embrassa sur la joue.

— Pour chaque personne perdue dans le sommeil, nous en élevons une autre, s’exclama Pally. Tu vas bien, mon frère ? Took se tenait maladroitement, les bras oscillant entre « je me rends » et « l’embrassade maladroite d’une tante ». Il lança à Madoc un regard confus et légèrement terrifié par-dessus l’épaule de Pally.

Took lui lança un regard énervé, mais acquiesça.

— Alors pourquoi ? demanda-t-il. Si je suis officiellement de retour en service, quel est le grand secret ?

— J’ai trouvé le plus jeune des enfants Aron, déclara-t-il.

Ce n’était pas souvent qu’il surprenait Took, à l’exception d’un baiser, d’un sauvetage, et de ça, c’est pourquoi Madoc savoura le moment.

— Elle n’a jamais quitté la maison. Alors, évite de tuer le docteur Forrester. On pourrait avoir besoin de lui.

— Quand avez-vous été en contact avec les Hounds de Gabriel, monsieur Waring ?

Liam s’étouffa d’un rire enroué.

— Jamais. Pas une seule fois, jura-t-il. À quoi bon sauter des crocs du vampire dans la gueule du loup ? Ce sont tous des monstres.

“- Je ferais presque n’importe quoi pour toi, Luke, déclara-t-il.

Pendant une seconde, Took afficha un air stupéfait, puis il détourna le regard pour regarder par la fenêtre. »