Extraits

– Tu as… promis… à Sofia… de l’empêcher de me transformer ?

En larmes, Matt acquiesce.

J’ai cru qu’il avait changé, qu’il n’en voulait plus à Ben, qu’il avait abandonné sa sanglante vengeance…

Mais dès le départ, ça a été son plan : venger la mort de Sofia en s’assurant de la mienne.

– Tout ce temps, Matt… Tout ce temps, tu faisais semblant ?

Une fois de plus, il ne parvient pas à articuler un mot à travers ses larmes et se contente d’opiner du chef.

– Matt, je supplie avec de plus en plus de difficulté, par pitié, ne fais pas ça. Il n’est pas trop tard si tu me ramènes maintenant…

– Non Gloria, je ne peux plus faire machine arrière.

– Pourquoi ? je lui demande. Pourquoi fais-tu ça ?

– Je fais ça pour elle, Gloria. J’ai toujours agi par amour pour elle, sanglote-t-il.

– Sale… menteur… Espèce de…

De traître.

Voilà ce que je tente de lui dire. Voilà quels sont censés être les derniers mots que je prononcerai dans cette vie. Des mots pathétiques pour une fin pathétique, causée par un bourreau pathétique. Sauf que je n’ai pas le temps de les prononcer. Déjà, les ténèbres s’abattent sur moi.

C’est donc ainsi que je meurs ?

Assassinée par une personne que j’aimais comme un frère ?

– Jure-moi que le combat de demain ne changera pas ce qu’il y a entre nous, je lui demande, la gorge soudain nouée par l'angoisse et la tristesse.

– Gloria, me répond-il en prenant mon visage entre ses mains, tu sais bien que rien au monde ne pourra jamais altérer ce que nous partageons ! Je suis venu au monde pour t’aimer, dit-il. Et c’est ce que je compte faire, jusqu’à la fin.

– Ben, je demande, soudain rongée par la culpabilité, ça ne va pas trop te manquer ?

– Lorsque j’étais seul au monde, me répond-il d’un ton rassurant, c’était une consolation pour moi de me sentir aussi connecté au genre humain. Mais grâce à toi, je n’ai plus besoin d’être relié à ces milliers d’inconnus. Vampires, mortels, sorciers, nous ne sommes que des créatures cherchant à trouver notre place dans le monde. Et ma place, il m’a fallu des siècles pour la trouver : elle est auprès de toi, mon amour. Tu es ma maison, mon abri, mon île.

– Je te porterai dans les escaliers. C’est aussi, dit-il avec une pointe de tristesse qu’il tente de masquer, ma dernière nuit en tant que vampire alors autant que je profite tant que je le peux encore de ma force.

Croit-il, comme Matt, que je l’aimerai moins lorsqu’il sera humain ?

– Ta force ne se mesure pas à ta capacité de monter quelques escaliers sans être essoufflé, je lui murmure.

Ta force, c’est d’être capable de réaliser l’impensable pour me sauver la vie.

– Non, répond-il en me soulevant dans ses bras puissants, divinement sculptés, et en m’emportant dans les airs. Mais ça y contribue !

– Et parce qu’il est presque aussi beau que moi, plaisante son petit frère pour détendre l’atmosphère.

– Disons qu’il faut admettre que vous êtes plutôt pas mal dans la famille... répliqué-je sur le même ton.

– Que tu es diplomate ! s’exclame mon ami en riant. Tu as le droit d’admettre que tu le trouves plus sexy que moi. Je ne t’en veux pas d’avoir des goûts douteux.

– Aussi douteux que ton humour ?

– Tu penses l’aimer encore autant, quand il sera vulnérable ? me demande Matthew avec une pointe d’anxiété.

Je lui souris avec indulgence. Il n’a donc aucune idée de ce que je ressens pour son frère ?

Comment pourrait-il le comprendre ? C’est un homme. Tous les hommes supposent qu’on les aime pour leur puissance, et ils croient que leur puissance est physique.

– Ben ne sera jamais vulnérable, Matt. Il a accumulé plus de deux siècles de sagesse. Il a vécu des épreuves qui auraient rendu plus d’un homme fou. Qu’il soit capable de tuer quelqu’un en un claquement de doigt ou non, sa force physique n’a jamais été la raison de mon amour. Je l’aime parce que je l’admire, parce que son talent me subjugue, parce qu’il est mon âme sœur, parce qu’il me connaît mieux que moi-même…

– J’ai l’impression que tu me demandes de choisir entre la peste et le choléra, je crache.

– Je te demande de choisir entre le néant et une vie. Imparfaite, certes, et trop brève pour l’immensité de notre amour, mais une vie quand même.

– Une chance ? Et moi je suis censé me contenter de ça : une chance que la femme de ma vie survive ? Et combien que tu meurs ? Combien de chance y a-t-il que je te perde ? hurle-t-il fou de douleur et de rage. Mais Gloria, tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes ? Je ne suis rien sans toi. Tu es ma vie !

– Une chance, c’est mieux que rien, dis-je épuisée, triste, et soudain calmée.

Je voudrais l’apaiser aussi mais j’ai conscience que mes mots sont dérisoires face à l’écrasante probabilité que je perde la vie dans ce combat.

– Si je n’interviens pas, me justifié-je, Andreï va continuer à créer des extensions, à les donner en pâture à tous les vampires qui passent et ça, ça me tuera avec certitude.

– Sauf que je ne veux pas d’une chance, Gloria. Je suis désolé mais je ne parie pas avec ta vie. Ton existence est mon bien le plus précieux, j’ai besoin d’être certain que tu seras encore là après le combat, à 100%.

– Ce n’est pas possible et tu le sais, dis-je en détournant les yeux. Qu’est-ce que tu crois ? je crie en m’enflammant à nouveau. Tu crois que je n’ai pas envie de continuer d’être de ce monde ? Que je n’ai pas envie de vivre encore cette vie merveilleuse que tu m’offres ? De continuer d’être avec toi, de te toucher, de te regarder, de faire l’amour avec toi ? Bon sang, Benjamin ! Tu ne comprends pas. S’il y avait un moyen d’être certaine à 100% que m’attaquer à Andreï ne me tue pas, je m’en saisirais dans la seconde… Afin d’être avec toi, mon amour, j'ajoute en caressant sa joue avec tendresse.

– Qu’as-tu fait ? je lui demande horrifiée et défiante. Et surtout, pourquoi ? Tu comptes me drainer, c’est ça ?

– Tu ne m’as pas laissé le choix, déclare-t-il inflexible, en m’attrapant avec une telle poigne et en me regardant de façon si intense que je ne sais pas s’il veut m’embrasser, me gifler ou me conditionner. Tu crois que je ne sais pas quand tu mens, Gloria ? dit-il en rangeant ses crocs. Que je ne reconnais pas les signes de doute chez ma future femme ?

– Que veux-tu dire ? je l’interroge, ivre de rage qu’il m’ait forcée à boire son sang.

– Quand je t’ai demandé si tu étais certaine de vaincre Andreï, tu as eu ce petit mouvement de tête. Ce mouvement caractéristique de quand tu hésites. Puis, tu as touché ta mèche de devant, dit-il en caressant mes cheveux, comme tu le fais quand tu mens. Alors maintenant, je veux savoir Gloria : que me caches-tu ?

– Je ne peux pas te le dire Ben, je réponds obstinée.

– Très bien, dit-il en ressortant ses crocs. Tu ne me laisses pas le choix. Je dois te transformer maintenant, pour ta propre sécurité.

– Non ! Non, je proteste ! Si tu me transformes avant que j’affronte Andreï, jamais nous ne pourrons le vaincre !

Benjamin range ses crocs mais son regard reste noir. Il me toise avec colère.

– J’attends, dit-il. Tu me dois la vérité. Je t’aime, tu m’aimes. Je t’ai demandé de m’épouser et tu as accepté, tu n’as pas le droit de me mentir.

– Très bien, je renonce en le bousculant et en m’essuyant les lèvres pour chasser le goût entêtant de son sang. Je vais te dire la vérité mais ça ne changera rien, Ben. Crois-moi, le choix que j’ai fait était le seul possible.

– Quel choix ? dit-il en se saisissant de mon poignet et en le serrant avec colère. Le choix de mourir, c’est ça ? D’accepter de devenir ma femme pour 36 heures pour plus tard te sacrifier ?

– Laisse-moi finir, Gloria, m’intime-t-il. Je ne peux pas faire confiance à Matt sur un sujet d’une telle importance, reprend-il, ni à Joan, ni à moi-même, car tu as raison d’avouer que la crainte de te perdre altère mon jugement. La seule personne en qui je puisse avoir foi, totalement, c’est toi mon amour. Toi seule sais si tu es capable ou non de réussir. Toi seule as la capacité de mener à bien cette « fusion » qui détruira le sorcier. Alors je te le demande solennellement : es-tu sûre de toi ?

Je masque l’étincelle de doute qui passe dans mon regard, je maîtrise le tremblement qui menace de me secouer alors que je m’entends mentir au seul être au monde qui a toujours cru absolument en moi.

– Oui Ben, je suis sûre de moi. Je vais affronter Andreï, je vais le vaincre.