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— Je n’ai pas empoisonné ce thé, dit-elle avec réticence. Je n’avais pas d’arsenic.

— Du laudanum aurait fait l’affaire, observa-t-il. A haute dose.

— Je m’en souviendrai pour la prochaine fois.Ses joues s’empourprèrent, mais elle resta impassible.

— Pourquoi vous ai-je épousée ? demanda-t-il doucement.

Elle prit le plateau sur lequel étaient posées la théière et la tasse.

— Vous devriez vous reposer un moment. Je serai heureuse de répondre à vos questions plus tard.

— Je veux le savoir maintenant. Asseyez-vous.

Elle l’ignora et se dirigea vers la porte. Il aurait pu tout aussi bien parler à un mur. Si l’impensable s’était produit, s’il l’avait bel et bien épousée, une chose était certaine : il avait perdu plus que la mémoire.

Il avait perdu l’esprit.

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** Extrait offert par Michelle Willingham **

Chapitre 2

En cuisine, une épouse doit garder les lieux propres et ordonnés en permanence. Les maris devraient être traités de la même façon.

Livre de cuisine d’Emily Barrow

Plus tard ce soir-là, le violent mal de tête de Stephen s’intensifia pour se transformer en un terrible lancement. Il ne pourrait pas trouver le sommeil. Les yeux secs et les nerfs à vif, il repoussa les couvertures. Il traversa le tapis d’Aubusson, les pieds nus, et son genou heurta un coffre en acajou au pied de son lit. En jurant, il se fraya un chemin à tâtons vers la cheminée.

Là, un grand miroir surmontait une table de toilette. Il pouvait à peine distinguer ses traits dans l’obscurité. Allumant une bougie, il étudia l’homme qui le fixait des yeux. A une certaine époque, il avait une vie bien ordonnée, prévisible. Maintenant, son expression était hagarde. Une vilaine cicatrice rouge dessinait une ligne irrégulière sur son torse nu, sûrement due à une entaille au couteau dont il ne se souvenait pas. Le coup porté à sa tête était une blessure récente, pouvant lui avoir été infligée par des voleurs ou pire encore. Néanmoins, quelqu’un lui avait sauvé la vie et l’avait envoyé ici.

Il ne se reconnaissait plus lui-même.

L’incertitude le troublait. Chaque fois qu’il fouillait sa mémoire en quête d’un fragment des derniers événements, son esprit se fermait. Il ne se rappelait pas son mariage supposé, ni ce qui l’avait provoqué. C’était comme si un mur invisible le séparait de la vérité.

Il allait battre en retraite quand son regard tomba sur un symbole noir à l’arrière de son cou. Il se tourna pour essayer de distinguer ce que c’était. Même s’il ne pouvait voir tout le dessin, il reconnaissait un tatouage.

Pourquoi ? Quand lui avait-on fait cela ? Jamais, de sa vie, il n’aurait envisagé une chose pareille. Voilà qui indiquait une nouvelle facette de son mystérieux passé.

Il tenta d’en voir plus, mais le dessin était placé de façon qu’il ne pouvait le distinguer dans sa totalité. Il s’écarta du miroir. Il finirait bien par trouver les réponses qui lui manquaient. En tout cas, il ne ménagerait pas ses efforts pour y parvenir.

Emily détenait quelques-unes de ces réponses. Elle se méfiait de lui, et elle avait raison. Elle lui avait probablement menti afin de protéger les enfants, se servant de lui pour trouver un abri.

Il ne pouvait tout simplement pas croire qu’il l’avait épousée, même s’ils avaient été amis d’enfance. Ils avaient été plus que cela, s’il voulait être honnête avec lui-même. Telle Eve, elle l’avait tenté avec la douceur d’un premier amour. Puis son père, le marquis, l’avait découvert et lui avait interdit de la revoir.

Comment leurs chemins s’étaient-ils croisés de nouveau après tant d’années ? Et pourquoi était-il incapable de s’en souvenir ?

Soudain, il marqua une pause. Une sorte de plainte lui parvenait du couloir. Il ouvrit la porte, et les gémissements diminuèrent, avant de cesser. Etait-ce un animal ? Il fronça les sourcils, se demandant quoi d’autre avait été amené chez lui sans sa permission.

Tandis qu’il longeait le couloir, le son se fit de nouveau entendre derrière la porte de l’une des chambres. Lorsqu’il l’ouvrit, il découvrit une forme blottie sous les couvertures. Elle était trop petite pour être Emily, et lorsque sa vision s’ajusta à l’obscurité, il reconnut le petit garçon qu’il avait rencontré plus tôt. Comment s’appelait-il ? Ralph ? Roger ? Le visage de l’enfant était enfoui dans l’oreiller, ses minces épaules secouées par ses sanglots.

La gorge de Stephen se serra, mais il ne s’avança pas pour consoler le petit garçon. C’était comme si ses pieds étaient rivés sur place. Il n’était pas son père, ni son tuteur, quoi qu’en dise Emily. Ce n’était pas à lui d’intervenir. Et il valait mieux pour le garçon qu’il n’attende pas de réconfort des autres, ou qu’il n’espère pas être dorloté.

Son propre père lui avait répété cette leçon jusqu’à ce qu’il apprenne à réprimer ses larmes. Le futur héritier ne pouvait pas pleurer ou montrer ses émotions. Le marquis le lui avait appris en le battant jusqu’à ce qu’il devienne un modèle de maîtrise.

Quand les sanglots de l’enfant furent remplacés par la respiration régulière du sommeil, Stephen s’avança d’un pas. Il ramena la couverture sur la petite forme, puis repartit aussi silencieusement qu’il était venu.

***

Le jour n’était pas encore levé et une pluie diluvienne s’était abattue sur la maison de pierres. Le bruit des trombes d’eau frappant les murs et le toit de la maison paraissait réconfortant à Emily. La fille de cuisine, Lizbeth, alluma le feu, et une chaleur vacillante envahit la pièce pendant qu’Emily préparait la pâte à pain.

Elle savait que les domestiques la regardaient avec un mélange de curiosité et de gêne. La fille d’un baron ne devrait jamais venir dans une cuisine pour y travailler. Mais elle avait absolument besoin de se rendre utile. Donner des ordres au personnel la mettait mal à l’aise, car elle avait pratiquement été une domestique elle-même jusqu’à récemment.

Elle avait fait de son mieux pour que la famille reste soudée après la mort de leur père. Les échecs de son frère Daniel dans les affaires avaient été une source constante d’anxiété, mais elle avait appris à réprimer ses critiques. Leur famille ne les avait pas aidés, pas après qu’ils…

Elle se força à revenir au présent, ne voulant pas se souvenir du scandale dévastateur. Elle avait fait ce qu’elle devait, marchandant avec les commerçants pour acheter leur nourriture lorsque Daniel avait perdu leurs finances au jeu. Après la mort de sa femme, il avait été éploré, et n’avait plus toute sa tête. Emily lui avait pardonné, même si cela signifiait sacrifier ses propres perspectives de mariage.

Mais maintenant elle était mariée.

Elle pétrissait la pâte à pain, laissant ce rythme régulier balayer ses craintes et ses ennuis. L’odeur familière de la levure atténuait sa tension, et elle laissa la tâche machinale lui donner le temps de réfléchir.

Whitmore allait se débarrasser d’elle. Elle était déchirée et furieuse contre lui. Elle ne pourrait lui pardonner son infidélité et sa trahison qui avait coûté la vie à Daniel. Et pourtant, elle avait besoin de sa protection pour les enfants. Elle appuya son front sur sa main enfarinée. D’une manière ou d’une autre, elle devait tirer le meilleur parti de la situation.

En silence, la fille de cuisine se mit à faire frire des saucisses pour le petit déjeuner. Dotée d’un visage ordinaire et d’une silhouette de la taille d’un tonneau, Lizbeth avait toujours un sourire enjoué. Elle avait plu à Emily dès leur première rencontre.

– Vous l’avez horrifié, vous savez, remarqua Lizbeth en séparant les saucisses. M. le Grand Seigneur.

– Le comte ?

– Non, milady.

Lizbeth rougit.

– Je veux dire Farnsworth, le majordome. Il a dit au maître que vous aviez renvoyé Henri.

– Bien.

Elle se moquait que Stephen sache qu’elle avait renvoyé le cuisinier. Cet homme avait très mauvais caractère et ne s’était pas gardé de voler la maison au cours des derniers mois, alléguant des coûts exorbitants pour la nourriture. Bon débarras !

– Et vous n’avez pas à vous inquiéter pour la cuisine, milady, ajouta Lizbeth. Mme Deepford et moi nous en occuperons jusqu’à l’arrivée du nouveau cuisinier.

– Merci, Lizbeth.

Emily se détendit légèrement. Son offre hâtive de cuisiner pour la maisonnée ne pouvait pas tenir, elle le savait, même si elle avait savouré l’expression horrifiée de Farnsworth à cette annonce.

– Je suis navrée de vous avoir donné plus de travail à toutes les deux.

– Oh, non, nous vous en sommes reconnaissantes. Henri aurait dû être renvoyé depuis longtemps.

Une part d’elle-même s’inquiétait d’avoir outrepassé ses attributions. Le comte n’apprécierait peut-être pas qu’elle intervienne dans les affaires du personnel, pas dans la précarité de sa propre position. Il fallait qu’elle s’excuse pour ses paroles coléreuses.

– Avez-vous entendu dire autre chose ? demanda-t–elle à Lizbeth. Du comte, je veux dire. S’est-il rappelé quelque chose ?

– Non, milady. Je ne l’ai pas entendu dire.

La clochette tinta, et Lizbeth sursauta.

– C’est M. le comte. Il va vouloir le plateau de son petit déjeuner.

– Je vais le lui porter, offrit Emily.

Elle voulait lui parler, au sujet des enfants. Le plat de délicieuse nourriture pourrait améliorer son humeur pendant qu’elle lui expliquerait pourquoi jeter leur famille à la rue serait une très mauvaise idée.

Son estomac gargouilla, mais elle l’ignora. Elle avait pris un toast grillé et une tasse de thé, ce qui était amplement suffisant pour elle.

Lorsqu’elle eut gravi l’escalier de service qui menait à la chambre du comte, elle était hors d’haleine. Le lourd plateau lui faisait mal aux bras, mais elle alla de l’avant. Frappant légèrement à la porte, elle l’entendit répondre :

– Entrez !

Il était assis dans un fauteuil à oreillettes, lisant le Times. Il portait un pantalon anthracite, une redingote bleu foncé, un gilet rayé et une chemise blanche. Sa cravate sombre était nouée d’un simple nœud. Une ombre de barbe soulignait ses joues, et son regard intense se posa sur elle avec intérêt.

Ses cheveux étaient mouillés, des gouttes d’eau brillant sur ses tempes. Il avait pris un bain, se dit-elle.

Un léger frisson la parcourut à la pensée de son mari plongé dans une baignoire, ses bras musclés posés sur le rebord. Elle avait vu par elle-même les durs aplats de son ventre, la cicatrice rouge entaillant ses pectoraux.

Une image coquine lui vint à l’esprit, celle d’un savon glissant sur ces muscles, et elle se demanda ce que ce serait de le toucher. Ce que ce serait s’il abaissait son corps sur le sien jusqu’à ce qu’elle se livre à lui.

Comme cette nuit…

Une solitude insupportable s’empara d’elle. Le soir où il était parti, il l’avait embrassée comme s’il ne l’abandonnerait jamais. Maintenant, c’était comme si elle n’avait jamais existé pour lui.

Un poing invisible la frappa à l’estomac, accentuant encore sa douleur. Quand il était revenu à Falkirk, son premier instinct avait été de courir à lui, de le serrer dans ses bras et de remercier le ciel qu’il soit vivant.

Mais il ne la connaissait plus. Il avait rompu ses promesses et l’avait trahie avec une autre femme. Elle ne pouvait laisser passer cela.

Elle battit des cils pour repousser les émotions qui menaçaient de la submerger. Whitmore ne ressentait plus rien pour elle, et elle ignorait si cela reviendrait.

– Comptez-vous poser ceci, ou allez-vous continuer à me dévisager ?

Son visage s’enflamma tandis qu’elle posait le plateau.

– Votre petit déjeuner, sire.

Elle fit une révérence moqueuse.

– Je préférerais « milord ».

Elle avait voulu se montrer sarcastique, mais visiblement il ne s’en était pas aperçu. Son irritation flamba.

– Y aura-t–il autre chose ? Dois-je m’incliner devant vous et lécher vos bottes ?

– Plus tard, peut-être.

L’intérêt qui perçait dans sa voix semblait indiquer qu’il n’y verrait pas d’inconvénient. Elle tournoya et se dirigea au pas de charge vers la porte.

– Je n’en ai pas fini avec vous, dit-il.

Elle lui décocha un regard venimeux, mais il gardait son attention fixée sur son journal. Il mit des lorgnons sur son nez. Elle ne les avait jamais vus et ignorait même qu’il en portait pour lire. Son air déterminé lui rappela qu’il n’était pas un homme que l’on pouvait duper aisément.

Convenable, raide, ferme dans ses convictions, il était devenu en tout point l’ombre de son père le marquis. L’estomac d’Emily se crispa à cette pensée.

– Aimeriez-vous prendre votre thé ? demanda-t–elle, luttant pour garder une voix posée.

Il abaissa le journal et la regarda fixement.

– Est-il empoisonné ?

Son attitude arrogante lui fit considérer l’idée de lui renverser la théière sur la tête.

– Vous ne le saurez pas avant d’être mort, n’est-ce pas ?

Elle sourit suavement en versant le thé dans une tasse en porcelaine.

– Du sucre et du lait ?

– Je prends mon thé sans rien. Ainsi, il y a moins de risque que vous y ajoutiez quelque chose.

– Sauf si je l’ai déjà fait, rétorqua-t–elle en lui tendant la tasse.

Peut-être s’étranglerait-il en buvant.

Son expression resta neutre, et il refusa de prendre la tasse.

– Buvez d’abord.

– Je ne l’ai pas empoisonné.

– Buvez.

Son ton impérieux agaça Emily, mais elle obéit. Le thé brûlant avait une riche saveur épicée et un parfum entêtant.

– Voilà. Etes-vous satisfait, maintenant ?

– Pas tout à fait.

Il mit le journal de côté et désigna la nourriture.

– Je veux que vous goûtiez tout ce qui se trouve sur ce plateau.

– Je n’ai pas faim.

A ces mots, il lui jeta un regard indiquant qu’il savait qu’elle mentait.

– A vous voir, on croirait que vous n’avez pas mangé correctement depuis des semaines. Vous êtes beaucoup trop mince. Je ne veux pas que les domestiques pensent que je ne nourris pas ma propre épouse. Si c’est ce que vous êtes.

– Je ne me soucie pas de ce qu’ils pensent.

– Mais moi, si. Et si vous voulez rester dans cette maison avec vos neveux, vous exaucerez mes souhaits.

Voilà. La menace était proférée. Il pouvait réellement aggraver les choses pour elle, en la forçant à partir avec les enfants. Et alors, dans quelle situation serait-elle ? Elle ne pouvait pas entretenir Royce et Victoria, ni leur donner un toit.

Ses joues s’échauffèrent, mais elle planta la fourchette dans une saucisse avec réticence.

Le son d’une clochette s’immisça dans ce moment divin. Elle rouvrit les yeux, mais le comte ne donna aucun indice sur la raison pour laquelle il avait appelé la soubrette.

– Je n’ai pas craché dans votre nourriture, dit-elle.

Les yeux gris de son mari ne contenaient pas une trace d’humour.

– Je n’ai jamais dit que vous l’aviez fait.

Elle poussa l’assiette vers lui, mais l’embarras persista, lui faisant se demander ce qu’il voulait encore.

– Vous pouvez manger, déclara-t–elle. Comme vous pouvez le voir, je suis toujours vivante.

Il ne fit aucun geste vers la nourriture. Il l’observait, le regard interrogateur. Ses yeux avaient le gris doux d’un matin londonien, sa bouche était ferme et stoïque. Elle avait pensé qu’il était un bel homme, à une époque. Ses traits étaient bien dessinés, comme sculptés dans de la pierre.

Maintenant, il évoquait une statue. Un homme dénué de sentiments, qui ne révélait jamais ce qu’il pensait.

Pourquoi s’était-elle laissé prendre à ses promesses ? Il l’avait sauvée d’un domaine en ruines, grevé par les dettes. Il avait juré qu’il retrouverait son écervelé de frère et paierait les dettes de Daniel. Elle avait été si amoureuse qu’elle ne s’était pas arrêtée à se demander pourquoi.

On frappa à la porte, mais au lieu d’une soubrette, ce furent les yeux réprobateurs de Farnsworth qui se posèrent sur elle, sous des sourcils froncés. Il désapprouvait silencieusement sa toilette et ses manières. Elle était censée se conduire comme une comtesse, pas comme une domestique. Elle se redressa, sachant que cela ne changerait pas l’opinion que Farnsworth avait d’elle.

– Apportez une assiette pour lady Whitmore, dit le comte. Et un supplément de thé.

– Non, vraiment, je n’ai besoin de rien.

Son regard sombre la fit taire. Quand le majordome fut sorti, il croisa les bras sur sa poitrine.

– Nous devons nous entendre sur certaines choses. Je donne les ordres, et vous devez obéir.

Se prenait-il pour le roi d’Angleterre ?

– Oui, Votre Majesté.

Il ne parut pas amusé par sa moquerie.

– En outre, quand Farnsworth apportera le plateau, vous devrez tout manger.

– Et si je ne le fais pas ?

– Vous voulez que les enfants soient nourris, n’est-ce pas ?

Il osait insinuer qu’il les priverait de nourriture ! La fureur d’Emily explosa.

– Vous n’oseriez pas faire mourir de faim des enfants innocents pour satisfaire un de vos caprices ridicules.

– Ce ne sont pas mes enfants, fit-il remarquer. Et si vous voulez que je les loge, les habille et les nourrisse, vous obéirez.

Stephen vit la peur dans ses yeux et éprouva une légère pointe de culpabilité nuancée par le constat qu’Emily n’avait pas mangé un repas complet depuis beaucoup trop longtemps. Si une fausse insinuation pouvait l’encourager à se nourrir, il n’avait pas de scrupules avoir.

Ses pommettes ressortaient sur son visage si délicat qu’il aurait pu être en cristal. Ses yeux étaient grands, d’un ambre fascinant qui évoquait du whisky. Une mèche de cheveux dorés reposait sur sa joue, là où de la farine tachait sa peau.

– Ils sont sous votre responsabilité, dit-elle.

Le majordome revint peu après avec le plateau. Emily mangea, le regard étincelant et meurtrier. Et cependant, Stephen pouvait voir le désespoir dans son appétit soigneusement contrôlé.

– J’ai quelques questions auxquelles je veux que vous répondiez, reprit-il. A commencer par le jour de notre mariage.

Elle accorda toute son attention à ses œufs, se comportant comme si elle ne l’avait pas entendu. Stephen tendit le bras et lui prit la main gauche. A son annulaire était passée la bague de famille : un gros rubis sur une monture en or. Il passa son pouce sur la pierre, les doigts frais d’Emily serrés dans sa paume.

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** Extrait offert par Michelle Willingham **

Chapitre 1

Quand vous choisissez une volaille à cuire, prenez un poulet avec de tendres pieds jaunes, des pattes courtes et épaisses et un poitrail dodu. Commencez par tuer le poulet en lui tordant le cou…

Livre de cuisine d’Emily Barrow

Falkirk House, Angleterre, 1850

Stephen Chesterfield luttait contre la force obscure qui menaçait de l’entraîner de nouveau dans l’inconscience tandis que des mains fraîches lui épongeaient le front. La douleur lui lacérait le crâne, le parcourant d’ondes violentes. Il avait la bouche cotonneuse et son corps le faisait terriblement souffrir.

– Buvez, dit une voix féminine en portant une tasse de thé chaud à ses lèvres.

C’était amer, mais il se força à déglutir.

– Vous avez beaucoup de chance, vous savez.

De la chance ? Il avait l’impression qu’on lui avait fendu le crâne en deux. Il n’avait même pas la force d’ouvrir les yeux pour voir qui le soignait.

– En quoi ai-je de la chance ? parvint-il à murmurer.

De la chance d’être en vie, allait-elle probablement répondre.

– Vous avez de la chance que je n’aie pas eu d’arsenic à mettre dans ce thé, dit-elle. Ou un autre poison. Sinon, vous seriez déjà mort.

Elle posa sur son front un cataplasme chaud qui sentait les herbes.

– Je vous demande pardon ?

Il serra les doigts sur les couvertures et se força à ouvrir les yeux. La pièce était floue et il essaya de reconnaître ce qui l’entourait. Où était-il ? Et qui était cette femme ?

La créature qui avait l’intention de l’assassiner avait le visage d’un ange. Ses cheveux, de la couleur du miel chaud, étaient ramenés en arrière en un chignon souple. De longues mèches encadraient ses joues et ses yeux ambrés, fatigués. Malgré sa vilaine robe de serge noire, une robe de deuil, elle était très jolie, même si ses joues étaient creusées.

Elle lui était familière, mais son nom planait aux confins de sa mémoire, hors de portée. Comme une relation d’enfance, ou quelqu’un qu’il avait connu voilà longtemps.

– Vous avez brisé votre promesse. Sans vous, mon frère serait encore en vie.

L’angoisse perçait dans sa voix, atténuant sa colère acerbe. Ses yeux brillaient de larmes, mais elle gardait le menton haut.

Elle le blâmait de la mort de son frère ? Il devait y avoir une erreur. Il ne savait même pas qui elle était, et encore moins qui était son frère.

Il ôta le cataplasme et la fusilla du regard.

– Qui êtes-vous ?

Elle blêmit.

– Vous ne vous souvenez pas de moi ?

La question contenait une incrédulité sardonique.

– Et moi qui pensais que cette journée ne pouvait pas être pire, ajouta-t–elle.

Elle posa la tasse et la soucoupe en faisant tinter la porcelaine.

Il était incapable de faire preuve de patience face à l’évidente frustration de la mystérieuse femme. Bonté divine, c’était lui qui avait été blessé. Et chaque fois qu’il essayait de capturer des souvenirs, c’était comme s’ils partaient en fumée. Que lui était-il arrivé ?

– Vous n’avez pas répondu à ma question, dit-il. Quel est votre nom ?

– Je m’appelle Emily.

Elle se pencha vers lui, le regard pénétrant. Presque comme si elle attendait qu’il dise quelque chose.

De vagues lambeaux du passé s’assemblèrent. Emily Barrow. La fille du baron d’Hollingford. Bon Dieu ! Il ne l’avait pas vue depuis près de dix ans. Il la dévisagea, incapable de croire que c’était vrai. Bien que sa posture rigide indique qu’elle était une femme modeste et vertueuse, il se rappelait qu’elle avait jeté des pierres sur sa voiture par le passé. Elle grimpait même aux arbres pour l’espionner.

Et, aussi, qu’elle l’avait embrassé quand il était un adolescent maladroit.

Il écarta cette pensée, soulagé qu’au moins quelques souvenirs lui restent.

– Que faites-vous ici ?

– Je vis ici.

Avec un sourire trop éclatant, elle ajouta :

– Vous ne vous rappelez pas votre femme ?

Sa révélation le stupéfia, le réduisant au silence. Sa femme ? De quoi parlait-elle ? Il n’était pas marié.

– Vous devez plaisanter.

Il n’était pas un homme impulsif. Il planifiait chaque instant de chaque jour. Se marier avec une femme qu’il n’avait pas vue depuis des années n’était pas du tout son genre. A moins qu’il n’ait été extrêmement ivre un soir, elle devait mentir. Et, par Dieu, si Emily Barrow pensait profiter de lui, elle le regretterait.

– Je ne plaisanterais jamais sur un sujet pareil, dit-elle.

Elle lui tendit de nouveau la tasse de thé, mais il la refusa. Il n’avait pas l’intention de boire quoi que ce soit venant d’elle. Sa vision se brouilla et un grondement emplit ses oreilles.

Il ferma les yeux et attendit que le vertige passe. Quand son malaise s’atténua, il se mit à étudier la pièce. De lourdes tentures bleues entouraient le lit à baldaquin et des bibliothèques surchargées de livres occupaient tout un pan de mur. Les fragments de souvenirs s’ajustèrent lorsqu’il reconnut sa chambre à Falkirk House, une de ses propriétés à la campagne. Il ne savait absolument pas comment il était arrivé là.

– Depuis combien de temps suis-je à Falkirk ?

– Deux jours.

– Et avant ?

Elle haussa les épaules.

– Vous êtes parti pour Londres une semaine après notre mariage. Je ne vous avais pas vu depuis février. Pourquoi ne me dites-vous pas où vous étiez ?

Il essaya de se le rappeler, mais il ne restait rien, pas même la plus petite trace d’une vision. Il avait perdu une part de lui-même et c’était comme un trou béant. Que des pans de sa vie aient disparu le frustrait abominablement. Il se souvenait de la majeure partie de son enfance et de son adolescence. Il se rappelait même avoir travaillé sur les comptes d’un des domaines en janvier. Mais après cela… plus rien.

– Quel jour sommes-nous ? demanda-t–il, en essayant d’épingler le dernier souvenir qu’il avait.

– Le 20 mai.

Il crispa les doigts sur les couvertures. Février, mars, avril, presque tout le mois de mai… Trois mois et demi de sa vie s’étaient complètement évaporés. Il ferma les yeux, tentant de se forcer à se souvenir. Mais plus il faisait d’effort, plus sa tête était douloureuse.

– Où étiez-vous ? demanda-t–elle.

Il y avait de l’inquiétude dans sa voix, bien qu’il ait du mal à croire qu’elle s’en souciait. Pas après avoir menacé de l’empoisonner.

– Je ne sais pas, répondit-il honnêtement. Mais je ne me souviens certainement pas de m’être marié.

– Vous ne vous en souvenez peut-être pas, mais c’est la vérité.

Quelque chose n’allait pas, quelque chose qu’elle ne lui disait pas. Elle avait un air désespéré, comme si elle n’avait nulle part ailleurs où aller. Elle était probablement prise au piège de son mensonge.

– Pour ce qui est de moi, vous pouvez partir, suggéra-t–il. Visiblement, mon retour vous a blessée.

Des larmes brillèrent dans ses yeux lorsqu’elle s’écria :

– Vous n’avez aucune idée de ce que j’ai traversé. J’ai cru que je ne vous reverrais jamais !

Elle plongea le linge dans la cuvette et l’essora avant de le poser sur son front, sa main effleurant sa joue. Ce geste était en totale contradiction avec ses paroles acerbes.

– Vous n’êtes pas ma femme.

Elle croisa les bras sur sa poitrine, attirant le regard de Stephen sur sa silhouette. Elle était un peu maigre, mais la douce courbe de ses seins accrocha son attention. Le premier bouton de sa robe était défait, révélant une portion défendue de peau blanche.

– Si, je le suis.

Elle le regarda fixement, rassemblant son courage. Ses lèvres pleines s’écartèrent, ses épaules montant et descendant sous son souffle court. Une mèche de cheveux dorés tombait sur la serge noire.

Elle n’avait jamais pu discipliner ses cheveux, même adolescente. Il l’avait aidée plus d’une fois à remettre ses épingles en place, pour lui éviter d’être réprimandée.

Maintenant, ce geste prenait dans son esprit un côté intime, qui convenait mieux à un époux. L’avait-il vraiment épousée ? Avait-il déboutonné ses robes, pour goûter la soie de sa peau ? A la façon dont elle recula, il semblait que non.

– Je veux voir un docteur, dit-il en changeant de sujet.

– Le Dr Parsons vous a examiné hier soir. Je dois changer vos bandages et garder la blessure propre. Il reviendra demain.

Elle porta de nouveau la tasse de thé à ses lèvres, mais il refusa de boire.

La porcelaine tintait, révélant le tremblement de ses mains. Malgré son amertume, il y avait sur son visage une expression qui ne s’accordait pas tout à fait à ses paroles. Stephen décelait autre chose… quelque chose qui lui donnait un air perdu et solitaire.

Il s’obligea à ne pas avoir pitié d’elle. Pour l’amour du ciel, elle avait menacé de le tuer !

Enfin, elle renonça et posa la tasse.

– Je n’ai pas empoisonné ce thé, dit-elle avec réticence. Je n’avais pas d’arsenic.

– Du laudanum aurait fait l’affaire, observa-t–il. A haute dose.

– Je m’en souviendrai pour la prochaine fois.

Ses joues s’empourprèrent, mais elle resta impassible.

– Pourquoi vous ai-je épousée ? demanda-t–il doucement.

Elle prit le plateau sur lequel étaient posées la théière et la tasse.

– Vous devriez vous reposer un moment. Je serai heureuse de répondre à vos questions plus tard.

– Je veux le savoir maintenant. Asseyez-vous.

Elle l’ignora et se dirigea vers la porte. Il aurait pu tout aussi bien parler à un mur. Si l’impensable s’était produit, s’il l’avait bel et bien épousée, une chose était certaine : il avait perdu plus que la mémoire.

Il avait perdu l’esprit.

***

Emily s’enfuit vers une chambre voisine et posa le plateau, les mains tremblantes. Le comte de Whitmore était de retour. Et il ne se rappelait pas un seul moment de leur mariage.

Maudit soit-il. Des larmes brûlantes roulèrent sur ses joues, malgré ses efforts pour se dominer. C’était comme s’il revenait d’entre les morts. Il était parti si longtemps qu’elle s’était presque mise à croire qu’il avait bel et bien disparu, même s’il n’y avait pas de corps.

Elle avait essayé si fort de l’oublier. Chaque jour des derniers mois, sans exception, elle s’était rappelé qu’elle ne signifiait rien pour son mari.

Elle pleura, le visage enfoui dans ses mains. Une semaine seulement après leur mariage, il était retourné à Londres. Pour retrouver les bras de sa maîtresse, bien sûr, pendant que, elle, la naïve petite épouse, était confinée dans la propriété de campagne où elle n’était pas censée apprendre les frasques de son mari. Rien que d’y penser la rendait malade.

Elle avait entendu dire que les mariages étaient ainsi. Mais elle n’avait pas voulu le croire. Sotte qu’elle avait été. Elle avait été transportée par son charme. Son conte de fées s’était réalisé, le beau comte avait demandé la main de la jeune fille pauvre.

Mais cela n’avait été qu’un rêve, non ? Il s’était servi d’elle, l’épousant pour des raisons qu’elle ne comprenait pas, et avait disparu de sa vie.

Maintenant qu’il était revenu, son humiliation était trois fois plus grande. Elle chassa ses larmes d’un revers de main, un rire sarcastique lui montant dans la gorge. Il ne fallait pas qu’elle pleure. Plus vite il quitterait Falkirk, mieux ce serait pour tout le monde.

Elle se força à se relever, réprimant l’envie de briser toute la porcelaine du plateau. S’apitoyer sur son sort ne mènerait à rien. Elle était mariée à un étranger, un homme qui n’avait pas tenu ses promesses.

Et s’il annulait le mariage, elle n’aurait nulle part où aller.

Un cri d’enfant la tira de ses pensées. Elle rassembla ses jupes et se précipita vers la chambre qu’elle avait convertie en nurserie provisoire. A l’intérieur, son neveu, Royce, était allongé par terre, jouant avec ses soldats de plomb.

– Attaque ! hurla-t–il, en faisant tomber une rangée de soldats.

Ces petites figurines et un livre de contes de fées étaient tout ce qu’il avait apporté avec lui après la mort de Daniel, son père. Elle sourit devant son enthousiasme de petit garçon.

Quand il poussa un autre cri de guerre, les pleurs aigus d’un bébé s’élevèrent. Royce prit un air inquiet.

– Je ne voulais pas la réveiller.

– Ce n’est pas grave.

Emily porta le bébé jusqu’à sa joue. Sa nièce, Victoria, avait à peine neuf mois. Un doux duvet de cheveux auburn couvrait sa tête. Deux dents commençaient à percer sa gencive inférieure. La petite fille tendit la main pour attraper les cheveux de sa tante.

Tandis qu’elle desserrait le poing de Victoria, Emily raffermit ses résolutions. Même si son mariage était en lambeaux, elle avait sa famille. Elle garderait les enfants de son frère en sécurité, ainsi qu’elle l’avait juré sur sa tombe. Maintenant, elle devait rassembler les décombres de son mariage et décider quoi faire ensuite.

– Tante Emily ?

Royce cessa de jouer pour ramener ses genoux contre sa poitrine.

– Est-ce que papa est venu nous chercher ?

– Non, mon chéri. Pas encore.

Comme la pire des lâches, elle n’avait pas encore dit à Royce que son père ne reviendrait plus jamais. Comment pouvait-elle détruire le monde sûr et plein d’espoir de son neveu ? Il n’avait que sept ans… Il apprendrait la vérité bien assez tôt.

Elle enlaça le petit garçon de son bras libre, serrant farouchement les deux enfants contre elle.

– Je vous aime tous les deux. Tu le sais.

Royce se tortilla.

– Je sais. Je peux jouer ?

Elle le lâcha, le laissant reprendre ses batailles imaginaires contre les soldats de plomb impuissants, criant victoire lorsque l’un deux tuait un ennemi.

Elle s’assit dans un fauteuil à bascule, le bébé dans les bras. Victoria pleurait toujours bien que ses paupières tombent de fatigue. Emily lui tapota le dos. Comme elle aurait aimé pouvoir pleurer comme sa nièce ! Perdue dans ses pensées, elle faillit ne pas apercevoir l’ombre du comte qui se dressait sur le seuil.

– Que faites-vous ici ?

Elle se leva, serrant la petite fille comme un bouclier.

– Vous saignez. Vous n’auriez pas dû quitter votre lit.

Son regard glacial plongea dans ses yeux.

– Je suis chez moi, je crois.

Des plis accusés bordaient sa bouche, révélant une douleur muette. Ses cheveux châtain foncé étaient décoiffés sous le bandage qui couvrait sa tempe. Il s’appuyait au cadre de la porte, plus mince qu’elle ne l’avait jamais vu, mais il ne montrait pas de signe de faiblesse. La barbe qui ombrait ses joues lui donnait une apparence farouche, pas celle du comte policé qu’elle avait toujours connue.

Et soudain, elle se demanda ce qu’elle connaissait vraiment de lui. Il ne restait aucune trace en lui du garçon qu’elle idolâtrait lorsqu’elle était jeune. Son sourire nonchalant et la façon dont il la taquinait autrefois avaient disparu. Ses yeux étaient devenus d’un gris froid, insensibles et durs. Même blessé, il était capable de la menacer.

Elle fit un pas en arrière, heurtant presque le fauteuil à bascule.

– Vous avez pris un sérieux coup à la tête. Vous n’êtes pas prêt à vous lever et à vous promener.

– Ce serait commode pour vous, n’est-ce pas ? Si je tombais et me vidais de mon sang.

Elle garda son aplomb devant ses mots rudes.

– En effet. Mais votre sang tacherait le tapis. Il n’y a pas de raison de causer des tracas aux domestiques.

– C’est moi qui les paye.

– Et votre fortune continuerait à le faire après votre mort.

Pourquoi ne cessait-elle de lui lancer des mots sarcastiques ? Elle n’était pas une telle harpie, d’ordinaire, mais ce genre de conversation lui permettait de dissimuler sa peur plus facilement. Qu’arriverait-il s’il les chassait ?

– Je suis content de voir que j’ai épousé un tel parangon de docilité.

Son ironie attisa encore sa mauvaise humeur. Puis il porta les yeux sur les enfants, les paupières plissées.

– Qui sont-ils ?

– Nos enfants.

– Je pense que je m’en souviendrais, si j’avais engendré des enfants.

– Ce sont ceux de mon frère. Vous êtes leur tuteur.

– Leur tuteur ?

Elle lui jeta un regard acéré, priant pour l’empêcher d’en dire plus devant les enfants. Cela briserait le cœur de Royce d’apprendre la mort de son père de cette façon.

– Nous parlerons de Daniel plus tard, dit-elle.

– Où est leur nourrice ?

– Je ne veux pas de nourrice, intervint Royce. Je veux tante Emily.

– Voyons, Royce…

Elle essaya de calmer le petit garçon, mais il ne se laissa pas faire.

– Je n’en veux pas ! cria-t–il, en jetant un soldat de plomb par terre.

Elle savait ce qui allait arriver.

– Tenez.

Elle s’avança et mit sa nièce dans les bras du comte qui prit le bébé, le tenant à bout de bras comme s’il avait une maladie contagieuse.

Elle s’agenouilla alors près de Royce, essayant de le raisonner.

– Chut… Là, là… Nous ne prendrons pas de nourrice. Tu n’as pas à t’inquiéter.

– Papa va venir bientôt, dit le petit garçon, le visage déterminé. Il nous emmènera loin d’ici.

Fronçant les sourcils d’un air de défi, les yeux braqués sur lord Whitmore, il se laissa réconforter.

La culpabilité d’Emily se fit plus intense. Elle ne pouvait cacher la mort de Daniel à Royce beaucoup plus longtemps.

– Emily…

Il y avait une note d’alarme dans la voix de son mari. Immédiatement, elle lâcha Royce pour revenir vers lui. Elle prit le bébé juste comme les genoux du comte flanchaient et qu’il s’affalait contre le chambranle de la porte. Il réprima un gémissement de souffrance. Du sang tachait le bandage qui lui ceignait le crâne.

Rapidement, elle remit la petite fille dans son berceau, ignorant ses pleurs de protestation.

– A l’aide ! cria-t–elle, espérant qu’un domestique l’entendrait. Quelqu’un, vite !

Elle s’agenouilla près de lui, soutenant son poids de ses bras. L’ombre d’un sourire passa sur les lèvres du blessé.

– Ainsi, vous avez décidé de ne pas me laisser mourir, finalement, murmura-t–il.

Il ferma les yeux et elle marmonna :

– La journée n’est pas encore terminée.

***

Stephen n’était pas certain de savoir à quel point sa vie pouvait encore empirer. Il avait une soi-disant épouse qui le méprisait, deux enfants inattendus et aucun souvenir des trois derniers mois. Ce dernier aspect était le pire, aussi avait-il appelé son majordome, Farnsworth, pour obtenir les réponses dont il avait besoin.

Il lutta pour s’asseoir dans son lit, même si l’effort lui donnait le tournis. Le domestique arriva enfin, se raclant la gorge pour annoncer sa présence. Il avait une couronne de cheveux gris autour de son crâne chauve, et ses joues étaient rubicondes et bien rasées.

– Dites-moi ce qui s’est passé la nuit où je suis revenu, demanda Stephen.

– Milord, je crains qu’il n’y ait pas grand-chose à dire. C’est arrivé avant-hier soir.

– Qui m’a amené ici ?

– C’était une voiture de louage. Le cocher ignorait qui vous étiez. Ses instructions étaient seulement de vous amener jusqu’à la porte.

– A-t–il dit qui avait arrangé mon trajet ?

– C’est vous, milord. Le cocher était irritable, car c’était le milieu de la nuit, et il a insisté pour être payé immédiatement.

Manifestement, ces questions ne menaient nulle part.

– Qu’est-ce que j’avais avec moi ?

– Rien. Seulement les habits que vous aviez sur le dos, dans l’état où ils étaient.

– Que voulez-vous dire ?

– Ils étaient en lambeaux, milord. Tout simplement affreux. Ils sentaient le poisson pourri, et je les ai fait brûler.

Avait-il été conduit à bord d’un bateau ? Il aurait peut-être pu en savoir plus si le majordome n’avait pas brûlé ses affaires.

Stephen contrôla son irritation pour demander gentiment :

– Avez-vous regardé dans mes poches avant de détruire mes vêtements ?

– Non, milord. Je n’y ai pas pensé.

Stephen grinça des dents.

– Merci, Farnsworth. Ce sera tout.

Le domestique toussota et hésita.

– Milord, à propos de lady Whitmore…

– Qu’y a-t–il ?

– Eh bien, monsieur, le personnel et moi nous demandions…

Farnsworth toussa de nouveau, retardant sa déclaration. Apparemment, il y avait un détail gênant dont il voulait parler, ou alors il avait grand besoin d’un sirop pour traiter cette toux irritante.

Stephen serra les poings sur le couvre-lit. Qu’il dise ce qu’il avait à dire, bon sang !

– Allez-y Farnsworth.

– Pour le dire crûment, milord, votre femme a procédé à plusieurs… changements.

– Quel genre de changements ?

Agité, le majordome croisait et décroisait les mains.

– J’ai été un serviteur loyal de votre maison pendant plus de trente ans, milord. Je ne dirais jamais du mal des Chesterfield. Mais je crains qu’elle ne soit allée trop loin.

Stephen se demanda si Emily avait déplacé un vase du vestibule de six pouces sur la gauche. Ou peut-être avait-elle empoisonné le chat pour se venger.

Vu les circonstances, la paranoïa de Farnsworth frisait le ridicule. Il ne pouvait se rappeler les trois derniers mois de sa vie, et son majordome s’inquiétait que sa femme soit allée trop loin ?

– Qu’a-t–elle fait ? demanda-t–il en détachant ses mots.

– Elle a renvoyé le cuisinier. Et…

Le domestique baissa la voix en un murmure.

–… elle dit qu’elle n’en engagera pas d’autre. Elle veut faire la cuisine elle-même.

Bonté divine ! Cette femme avait vraiment l’intention de l’empoisonner.

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