Extraits

Il se pencha vers For pour ajouter :

- Si je ne gagne pas à Epsom, il n'est pas impossible que je sois obligé d'épouser la gamine. Ce sera cela ou voir Bramberley s'écrouler sur nos têtes. Vous avez de la chance, Kingsfold, vous, au moins, vous pouvez vous permettre un mariage d'amour.

Ford fut frappé par ces paroles. Possédant à la fois un titre et une confortable fortune, il pouvait effectivement se marier par amour.

Contrairement au marquis... et à Laura !

- C'est la plus grande sottise que j'aie jamais entendue ! Si tous les hommes qui inspirent de l'aversion à leur épouse devaient souffrir d'impuissance, il y a longtemps que l'aristocratie anglaise aurait cessé de se reproduire !

- Nous ne pouvons ni changer le passé ni l'oublier, surtout quand il nous a laissé des cicatrices.

Il tourna la tête vers elle.

- Alors que faire ?

Le masque sous lequel il dissimulait d'habitude ses sentiments avait disparu, mais elle ne parvint pas pour autant à déchiffrer son expression. Du regret ? de la colère ? et peut être un fragile rayon d'espoir ?

- Ce que nous faisons déjà, murmura-t-elle. Essayer de voir le passé à travers le regard de l'autre. Reconnaître nos erreurs au lieu de justifier notre attitude passée et de tenir l'autre pour seul responsable.

- Ford vous a menti, affirma enfin Susannah. J'en suis absolument certaine.

- Bien sûr qu'il m'a menti ! Chaque fois qu'il a fait semblant de m'aimer...

- Mais non, je parle d'hier soir ! Oubliez un instant votre souffrance et réfléchissez. Est-il plus facile de tromper quelqu'un pendant des mois ou seulement quelques minutes, dans le feu d'une discussion ? Qu'est-ce qui est le plus révélateur, les actions ou les paroles ?

- Si vus espérez vous débarrasser aussi facilement de moi, mon cher époux, je crains que vous ne vous trompiez. Je sais que vous croyez agir pour mon bien, mais vous le faites à votre ancienne manière : en fonçant sans me demander mon avis ni me laisser le choix. Dans un couple, le pouvoir se partage et on fait des compromis. Est-ce que je ne mérite pas d'avoir mon mot à dire sur notre avenir ?

Ces paroles ébranlèrent Ford. Etait-ce vraiment ainsi qu'il se comportait de nouveau, en décidant arbitrairement de ce qui était le mieux pour elle ? En lui ôtant tout pouvoir de décision, de sorte qu'elle n'avait pas d'autre choix que de subir les conséquences de ses actions à lui ?

L’un des battants s’ouvrit, livrant passage à M. Pryce, le majordome d’Hawkesbourne. Etonnées, les deux femmes le virent s’avancer dans la chambre d’une démarche inhabituellement guillerette. Un sourire radieux éclairait ses traits d’ordinaire empreints d’une solennelle dignité.

— Milady ! M. Ford… enfin, lord Kingsfold, vient juste d’arriver ! Il attend dans le salon. Je lui ai dit que j’allais vous prévenir tout de suite afin que vous veniez lui souhaiter la bienvenue.

Laura voulut répliquer, mais elle avait la respiration littéralement coupée comme sa mère quelques instants plus tôt. Une tempête d’émotions contradictoires se déchaînait en elle à la perspective d’affronter cet homme qui l’avait trahie, après qu’elle lui eut naïvement accordé sa foi et son amour.

Si sa famille n’avait pas dépendu d’elle pour sa survie, elle aurait pris grand plaisir à dire son fait au personnage et à le vilipender pour son attitude passée. Mais elle ne pouvait se permettre de susciter sa colère et sa vindicte. Pour la sauvegarde de sa mère et de ses sœurs, elle allait devoir déployer devant lui le plus de courtoisie possible. Un homme doté de si peu de scrupules n’hésiterait certainement pas à les chasser de sa maison si elle se laissait aller à provoquer sa colère.

Toutefois, s’il espérait retrouver en elle la petite oie naïve et crédule qu’il avait abandonnée sept ans plus tôt, lord Kingsfold n’allait pas tarder à s’apercevoir qu’il se trompait du tout au tout !

Ford sentit la main de Laura se crisper sur son bras et un inavouable sentiment de jubilation s’empara de lui.

Enfin, il avait réussi à déceler la faille chez cette femme si posée et si peu communicative ! Une faiblesse qu’il allait pouvoir exploiter sans tarder…

Mais les premiers mots de Laura le déçurent.

— Eh bien, qu’y a-t-il là à discuter ? Je vous ai déjà dit que ma famille n’avait pas les moyens d’habiter ailleurs.

Dieu, qu’elle semblait sincère ! Presque aussi sincère que le jour où elle lui avait juré un éternel amour, à cet endroit même où ils déambulaient à présent. Si seulement il avait su à l’époque démêler ses mensonges avec autant d’aisance qu’il le faisait à présent… Elle lui avait promis de l’attendre jusqu’à ce qu’il ait la possibilité de se marier. Ah oui, vraiment ! Tout cela n’avait jamais été que pure comédie. Leur engagement n’était pour elle qu’un moyen de s’immiscer dans l’affection de son riche cousin.

— Quelle honte que Cyrus vous ait laissée aussi démunie !

Il avait beau faire, il ne put empêcher une pointe de sarcasme de résonner dans sa voix.

— Mais dites-moi, qu’est-il advenu des trois mille livres dont il vous a dotée au moment de votre mariage. Peut-être les avez-vous oubliées ?

La culpabilité s’inscrivit soudain sur le visage de Laura, qu’il n’avait jamais vue aussi mortellement pâle. L’espace d’un instant, elle sembla trop mortifiée pour articuler un seul mot. Ford attendit sa réponse avec impatience. Comment allait-elle s’en tirer cette fois ?

De blanche, elle devint soudain livide et lui lâcha brusquement le bras.

— Que savez-vous de l’état de mes finances ? Et comment vous êtes-vous procuré ce renseignement ?

Ford se raidit. Elle n’allait tout de même pas rejeter les torts sur lui, après tout ce qu’elle avait fait ?

— Le sujet a été soulevé pendant mon entrevue avec Repton. Peut-être auriez-vous dû le prévenir que cet arrangement devait rester secret ?

— Mais c’était bel et bien secret !

Elle serra les poings, les bras plaqués contre ses flancs.

— Vous n’aviez pas le droit de…

— J’ai tous les droits, coupa-t-il d’une voix acérée. Vous m’avez donné celui-là quand vous avez feint le dénuement pour vous imposer ici.