Extraits

Le Temple, Acre, 17 janvier 1276 après J-C

Will Campbell posa ses mains sur le rebord de l'étroite fenêtre et regarda au-dehors. Devant lui s'étendait à perte de vue un panorama vertigineux. Tout en bas, les vagues venaient se fracasser contre les rochers, à la base de la tour du Trésor qui saillait de la courtine de la commanderie. Will sentait la pierre vibrer sous le déferlement des flots. Le vent qui venait de la Méditerranée était glacial et il était content de proter sa chemise et son surcot, avec la croix rouge écarlate évasée pareille à du sang sur le blanc du tissu. Il se rappelait le froid bien plus mordant des hivers en Ecosse, à Londres et à Paris, où il allait passé son adolescence, mais, après huit années en Terre Sainte, il s'était accoutumé à la chaleur du climat et la chute subite des températures l'avait surpris.

Saint-Jean d'Acre, 1274. Will Campbell est un Templier, un soldat entraîné au combat. Membre d'une mystérieuse société secrète baptisée L'Âme du Temple, il est aussi un homme de paix qui a œuvré à la trêve désormais installée entre chrétiens et musulmans de Terre sainte.

Pourtant, les vieilles querelles ne demandent qu'à être rallumées. Le prince Édouard a promis au pape une nouvelle croisade et, en Orient, certains marchands commencent à trouver que la paix ne remplit pas assez leurs coffres. Quant au conseiller de Baybars, il a décidé d'en découdre avec les chrétiens, définitivement.

Alors que le pire se prépare, Will est tiraillé entre son devoir de Templier, son rôle au sein de L'Âme du Temple et l'amour impossible qui le lie à Elwenn...

Will tournait son cheval pour rejoindre les autres lorsqu'il en vit un autre se prendre les jambes dans des cordes et jeter son cavalier à terre. Dans la chute, le chevalier perdit son casque. C'était Robert. Les autres chevaliers passaient à proximité sans se soucier de sa situation. Dans leur sillage, une masse de soldats couraient, assoiffés de sang, mis en rage par cet assaut et désireux de venger leurs camarades.

Sur les hauteurs des monts Taurus, les neiges hivernales s'accrochaient avec obstinations aux pics escarpés et formaient des plaques durcies et glissantes dans les profondeurs ombragées des ravins. A l'est et à l'ouest, les crêtes glacées se découpaient grandioses et infinies, sur le bleu pâle de l'aube. En leur présence, Kalawun se sentait singulièrement petit. L'air était glacial, coupant, et chacune de ses expirations dégageait, un nuage brumeux. Il resserra sa cape doublée de peau de lapin et retourna au campement.

Guillaume détourna les yeux de la carte, la roula brusquement et l'attacha par un cordon; Puis il s'approcha de la fenêtre et s’agrippa à son cadre.La soirée était un baume calme et apaisant. Quatre jours plus tôt, Angelo Vitturi était venu pour savoir si tout était prêt. Guillaume n'avait pas fait part de ses doutes au Vénitien.

A l'heure actuelle, il devait même se les dissimuler, il lui fallait amadouer ses propres convictions. Il devait garder foi en lui-même, et en Dieu. Il savait que cette entreprise était dangereuse; et même téméraire. Mais ne pas agir aurait été tout aussi terrible;

De cette manière au mins, ils avaient une chance. Qu'il ne reçoive pas de nouvelles ne signifiait pas pour autant que les hommes qui lui avaient promis d'envoyer des renforts en Terre sainte reniaient leur promesse. Il fallait qu'il ait confiance.

Le gros eut une expression lubrique et Elwen se cabra, horrifiée, en sentant la main du barbu glisser sur sa poitrine. Tout son être se révoltait face à cette ignominie. Elle se contorsionna et le repoussa, mais c'était le gros maintenant qui s'avançait et elle n'avait pas la force de les arrêter.

Elle entendit les pas de l'eunuque, puis le son de la porte qu'il fermait en partant, et elle roula sur le lit pour s'asseoir au bord. Son singe sortit sa tête de sous la couverture, où il dormait jusque-là. La nourriture sentait bon. Elle se laissa glisser du lit et s'assit jambes croisés avant de saisir une boule de riz jaune épicé, mélangé à du raisin et des abricots. Son estomac émit un gargouillis d'appréciation. Elle sourit au singe qui avait grimpé sur son épaule et lui balayait la joue avec sa queue, puis elle lui tendit quelques grains de riz, qui mâchouilla d'un air pensif. Aisha en reprit un peu elle-même puis elle attrapa la tasse. Le riz était salé, il lui donnait soif. Elle but une gorgée, puis une autre. Le thé était noir et très fort, âcre même, mais elle le finit tout de même.

Guido SORANZO regarda les gardes traverser le couloir, l'épée la main, mais il ne sentit pas rassuré pour autant. Il sursauta quand une main se posa sur son épaule. Sa femme se tenait derrière lui, l'air confuse et inquiète; Elle portait une robe richement brodée par dessus une tenue de nuit en soie qui flottait autour de ses formes généreuses.

En dehors de Catarina, dont il avait fait la connaissance par accident, Will n'avait jamais rencontré les fils d'Andréas, ni le reste de la famille dont il avait tant entendu parler. Il savait néanmoins que Nicollo s'intéressait à Elwen. Elle lui avait dit une fois, en riant, que le jeune Vénitien était venu dans sa chambre en secret avec des fleurs, la demander en mariage. Will savait pourquoi elle le lui avait raconté : pour lui rappeler qu'elle était désirable et qu'elle n'était pas encore à lui. Et ça avait marché. Désormais, ds qu'elle mentionnait Nicoolo, il sentait le dard de la jalousie se planter en lui, et il lui arrivait d'être démangé longtemps après la piqûre initiale.

Lorsqu'il avait rejoint le Temple de Londres à l'âge de onze ans, Garin de Lyons avait été désigné pour être partenaire d'entraînement. Pendant deux ans, ils avaient été inséparable, partageant tout, les triomphes comme les tourments. Will souffrait du départ de son père pour la terre sainte, Garin du traiement abusif de son oncle. Puis, lors l'une mission d'escorte des joyaux de la couronne d'Angleterre en France, tout avait changé. Des mercenaires avaient attaqué leur compagnie et le maître de Will était mort, ainsi que l'oncle de Garin. A Paris, Everard prit Will comme apprenti tandis que Garin retournait seul à Londres. Leur amitié disparut. Des années plus tard, lorsqu'ils se retrouvèrent, ce fut en ennemis, Garin étant impliqué dans un complot visant à dérober le livre du Graal. Pour finir, il fut jeté au cachot, mais bien qu'il eût payé pour ses crimes envers le cercle, Will avait été profondément blessé par sa trahison, et la cicatrice n'était toujours pas tout à fait fermée.