Extraits

D’un mouvement des bras, je tente un saut olympique, mais manquant de recul, la médaille me passe sous le nez tandis que je me retrouve à sombrer corps et biens. Parvenant tout de même à me repositionner dans le bon couloir, je me retrouve à longer le fond sablonneux. Par chance, je repère le petit pont qu’il forme et passe dessous en le heurtant des fesses par mégarde. S’accordant tous deux à continuer le jeu, cette fois je fais exprès de le frôler, alors que lui aussi n’est pas en reste. Toutefois, en ce qui le concerne, l’effet produit ne passe guère inaperçu.

Emporté par le souffle de Zéphyr, dont on désespérait la venue, le Boeing s’en est allé, retrouvant le silence que ne dérangent point les murmures du ressac à chacune de ses étreintes avec le rivage arénacé.

Baignées d’une chaleur excessive pour la saison, six intenses journées s’étaient tissées d’une trame aux couleurs chamarrées, baignées d’effluves de thym, de myrte et de chèvrefeuille. J’avais été relativement bien accueillie auprès de sa famille, malgré qu’à table certains regards restaient fermés, voire hostiles. C’étaient surtout les aïeux qui semblaient ne pas apprécier qu’une blonde naturelle aux yeux bleus ait pu plaire à un de leurs petits-fils, plutôt qu’une Hellène de souche. Par chance pour ma sérénité, ses parents étaient aimables ainsi que ses frères et sœurs qui voulaient tout connaître de la vie que nous menions au plat pays. Les matinées s’étiraient avec langueur, sous la température qui montait au fil des heures pour devenir tropicale et ne redescendre que peu à peu au sein de la nuit. Levée tard, je prenais ma douche, m’habillais, ensuite je descendais prendre seule un copieux petit déjeuner, mon copain étant pour la plupart du temps levé avant moi. Ensuite, j’aidais aux épluchages, coincée entre les femmes qui faisaient cercle autour de la marmite, ne comprenant pas un traître mot à leur dialecte des plus vivaces. Alexandre rentrait alors après avoir participé à la préparation de bateaux de location, dont l’affaire appartenait à un de ses oncles et dans laquelle travaillait son père ainsi que trois de ses frères. Le déjeuner se passait, le patriarche en bout de table, entouré d’une douzaine de convives dont je faisais partie. Libre de ses après-midis, en lieu et place de se retirer pour faire la sieste en chambre durant les heures chaudes, comme il est de coutume dans ces régions, mon guide attitré m’emmenait visiter son île.

Descendus de la colline sacrée, on s’installa à la terrasse d’un bistro face au musée de l’Acropole, dont les murs laiteux en marbre de Paros étaient irradiés par les premiers rayons d’un soleil printanier. L’appétit n’étant pas au rendez-vous, on se contenta en guise de réveille-matin d’ingurgiter deux metrio bien serrés. Rejoignant ensuite l’aéroport en taxi, on ne tarda pas à récupérer nos bagages à la consigne. Une bonne heure nous séparant encore de notre vol, on s’en alla flâner dans le hall aux boutiques. Je souris en découvrant placées au-devant de souvenirs en tous genres, des statuettes aux tailles diverses présentant toutes le même satyre au membre priapique. Je me fis la réflexion, qu’au moment du retour, un petit achat de cette nature serait des plus rigolos. Mais bon, resterait à savoir où le placer dans ma chambre et aussi qu’en penseraient mes parents en le découvrant. Je les adorais, bien évidemment, cependant, j’avais hâte de gagner ma vie et d’avoir mon propre appartement, pour y faire en toute liberté n’importe quelles conneries qui me passeraient par la tête. Notre appel se faisant entendre, le cœur à la main et la valise de l’autre, on se dirigea vers la porte des départs pour s’embarquer à destination de l’aéroport régional de Kithira.

Un peu vannés le soir venu, on s’installa à la terrasse d’un resto situé dans la Plaka. Celle-ci était noire de monde, jusqu’aux escaliers qui parsemaient la vieille ville à flanc de colline. En toute confiance, j’avais laissé à Alexandre le soin de composer le menu, sachant que végétarienne, bien que n’excluant pas le poisson, cela restreignait tout de même le choix parmi les plats typiques de la cuisine grecque. Cependant, je fus agréablement surprise de constater que tout ce qui nous fut servi était d’un goût exquis. Notamment, la langouste fraîche à laquelle on fit un sort, allant jusqu’à curer avec obstination l’intérieur des pinces. Proposant ensuite une ultime promenade dans la nuit athénienne, mais à l’écart de sa vie trépidante, malgré une cloche au pied qui me suppliciait, j’acceptai d’arpenter avec lui les sentiers qui entouraient le site de l’Acropole. Au détour de l’un d’eux, on dégota le coin tranquille auprès des ruines d’une petite église byzantine. De là s’apercevait l’aire de l’Agora en contrebas. J’eus une pensée fraternelle pour Hypatie, philosophe, astronome et grande mathématicienne du 5e siècle, une des rares femmes qui y étudia, avant de diriger l’école néoplatonicienne d’Alexandrie et y être assassinée par la bêtise humaine.

Une escale étant prévue à Athènes, j’avais souhaité que l’on ne reparte que le lendemain pour avoir l’occasion de la visiter. Je connaissais cette ville seulement par mes cours et mes lectures de romans que je chérissais, tels Une femme à sa fenêtre, Alexis Zorba ou les grands classiques des auteurs antiques. Nous avions donc atterri tôt le matin à l’aéroport d’Elefthérios-Venizélos, situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale. Bénéficiant d’un temps clément à l’approche de l’été – sous 30° à l’ombre déjà – mon ami grec me guida tout au long de la journée au travers de cette cité maintes fois millénaire. Il semblait ravi de me montrer tout ce qu’elle conservait comme vestiges de sa gloire de jadis.

Je ne fus pas déçue, car il ne se passa pas une semaine qu’il m’invita à nous réunir dans l’ivresse des corps. Dire que j’étais réjouie n’était pas un vain mot, car de revoir cet endroit grisant, malgré son désordre estudiantin, cela m’enivra à en perdre la boule. Alors qu’une pluie battante faisait la java sur son toit de tuiles, nous nous enlacions de même en parodiant la rythmique. Alternant maintes positions dont certaines des plus dingues, je pressentais qu’aucun tabou ne survivrait face aux désirs que j’avais de m’aventurer avec lui en terres inconnues.

Située en mansarde d’une maison bourgeoise de briques rouges datant d’avant-guerre, aussitôt franchi le seuil de sa chambre d’étudiant, on s’enlaça avec passion. Vêtements ôtés en quelques gestes empressés, on atterrit bientôt sur son lit défait. Sous un plafonnier dont une des trois ampoules avait rendu l’âme, on s’investit alors dans l’exploration de nos anatomies respectives. On s’abandonna à corps et à cris, jusqu’à ce que repus par nos élans effrénés, épuisés, on finisse par s’endormir enchevêtrés.

C’est à Bruxelles que j’ai fait la connaissance d’Alexandre, lors d’une soirée organisée dans l’appart d’une copine de fac. Celle-ci suit comme moi un master en seconde année d’Histoire de l’Art & Archéologie à l’ULB. Quant à lui, bénéficiant du programme Erasmus, il poursuit des études d’architecture dans la capitale.

Les yeux fermés, le menton enfoncé au dos d’une main, je perçois un bruit sourd. Intriguée, coudes à l’appui, je relève la tête. J’écarte une mèche blonde et au travers de mes Dolce & Gabbana aux verres bleutés, je repère un Boeing d’Olympic Airlines virant à faible hauteur. Ce grand oiseau blanc et indigo aux six cercles entrelacés, s’élève au large de cette plage pourpre sur laquelle je me retrouve étendue. Traçant sa route dans l’azur floconné de quelques cumulus de beau temps, train d’atterrissage rentré, il bat déjà des ailes en direction du continent.