Extraits

Le docteur Varia Alexandrovna Sampsonievskaïa s’assit à son bureau en lui disant qu’il pouvait remettre sa chemise. Elle approchait la quarantaine, supposait Brodie (c’était seulement leur troisième rendez-vous), et elle avait un beau visage osseux avec un nez assez crochu. Mais c’était un visage sévère, sans sourire, comme si le docteur Sampson, ainsi que l’appelait Brodie, n’avait guère de plaisirs dans la vie. Peut-être était-elle aussi légèrement malheureuse que lui. Elle parlait un français excellent car elle avait étudié un an à Paris sous l’égide de Théophile Roguin. Vêtue d’une blouse en coton blanc qui lui descendait aux genoux par-dessus son tailleur, elle avait les cheveux relevés en un chignon lâche fixé par de nombreuses pinces.

Mais c'est lorsqu'il se lança dans les variations sur un thème de Borodine qu'il [Kilbarron] révéla toute l'étendue de son génie... Une vitesse d'exécution et une dextérité stupéfiantes, une intense concentration, une formidable dramatisation -mouvements de tête, yeux fermés, expressions frappantes, bras levés, balancements sur le tabouret.

"Sans aucune modestie”, plutôt. Voilà bien une expression de vantardise en sous-main. Comme “à mon humble avis” – à mon tout-sauf-humble avis plein de prétention, oui…

Sans être un fin limier, je suppose que ceci ne s'adresse pas à votre grand-mère, remarqua le médecin.

- Non,je..., commença Brodie avant de réfléchir, puis d'opter pour la candeur. je suis tombé amoureux d'une jeune femme russe, voyez-vous, une chanteuse d'opéra.

- Oh mon Dieu ! Les actrices ! Les actrices russes, encore pire ! Evitez-les, je vous en conjure.

- Non, monsieur, c'est différent. C'est une véritable passion.

- Mais, oui, bien sûr. J'ai toujours dit la même chose, toujours. "Cette fois-ci, c'est différent;" Je l'ai dit au moins pour les dix premières actrices que j'ai fréquentées, et après j'ai arrêté de le dire.

- Je dois avouer qu'il y a des... complications.

-Evidemment, c'est une actrice. Des complications, tiens, tiens, commenta-t-il avec un rire amer avant de marquer une pause. J'ai toujours pensé qu'une vie sans complications n'est pas vraiment une vie, voyez-vous. Dans la vie, certaines choses tournent mal, rien n'est éternel, et nous n'en pouvons mais. Les amis vous trahissent, la famille vous tourmente, les maîtresses vous trompent.