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Pierre avait été littéralement fasciné puis intrigué par cette sorte de morgue avec laquelle Raymond Roussel faisait franchir à sa poésie les limites de l’entendement humain. Pierre en était arrivé à entretenir avec les Nouvelles Impressions d’Afrique des rapports d’amant à maîtresse, une maîtresse qui, en dépit des querelles qui les dressaient l’un contre l’autre, ne le maintenait pas moins en son pouvoir. Constamment rabroué par ses manières hautaines de grande dame, il désirait la mater, au nom de la logique et de la justice. Si seulement il avait pu la connaître pleinement, au cours d’une longue nuit de communion intellectuelle, il se serait délivré de cette tentatrice. Mais, comme toutes les grandes tentatrices, le poème connaissait l’art de la ruse. Elle hypnotisait. Elle savait faire oublier.
Afficher en entierSole frissonna encore. Le soleil brûlant de l’Afrique enfiévrait leurs conversations sur Roussel, échange passionné et innocent où pointait déjà l’idée de ses propres recherches. Il se rappela les toits rouillés aperçus de la terrasse du café. Les murs de plâtre d’un blanc étincelant. Les arbres flamboyants. Une mosquée. Les Peugeot et les Volkswagen garées en contrebas dans la rue. Des vendeurs d’objets sculptés en bois, accroupis, vêtus de shorts et de chemises déchirées, tandis que, dans un claquement de sandales, les femmes musulmanes passaient, drapées dans des voiles noirs, portant des fardeaux en équilibre sur leur tête. Les bouteilles de bière, embuées par la condensation, sur la table de fer-blanc, alors que Pierre et lui parlaient d’un poème pratiquement inaccessible au cerveau humain, un poème pour la lecture duquel il aurait fallu concevoir une machine.
Afficher en entierCHRIS SOLE s’habillait rapidement. Eileen l’avait déjà appelé une première fois. La seconde fois, le facteur venait de passer.
« Il y a une lettre du Brésil ! cria-t-elle du bas de l’escalier. Une lettre de Pierre…»
De Pierre ? Dans quel but écrivait-il ? Il appréhendait d’avoir de ses nouvelles. Depuis la naissance de leur enfant, Eileen était si distante, si indifférente, accaparée par ses problèmes personnels, par Peter et par ses souvenirs. Et, face à cette indifférence, Chris ne se sentait plus de taille à lutter. Disons, pour être franc, qu’il avait baissé les bras. Quel effet aurait donc sur elle la lettre de son ancien amant ? Surtout, qu’elle ne fasse pas trop de vagues, espéra-t-il.
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