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Maintenant qu’il était propriétaire, Lame Bull souriait tout le temps. Il souriait en fauchant les champs de luzerne et de pâturin. Il souriait en arrivant déjeuner, et le soir, quand le petit tracteur pénétrait dans la cour en pétaradant pour s’arrêter le long du grenier, on voyait briller ses dents blanches à travers l’espèce de voilette anti-moustiques accrochée au bord de son chapeau. Il se laissa pousser les pattes pour que les poils raides et drus viennent encadrer sa figure ronde. Teresa se plaignait de ses mauvaises manières, de ses traits grossiers. Elle n’aimait pas la façon dont il asticotait la vieille, et elle n’aimait pas non plus son habitude de ne pas vider la poussière et la menue paille accumulées dans les revers de ses pantalons. Son sourire représentait un défi silencieux, et les nuits d’été vibraient dans la chambre à côté de la cuisine. Teresa devait aimer sa musique.
Afficher en entierLame Bull avait épousé cent quatre-vingts hectares de plantes fourragères, rien que des champs irrigués, nivelés, l’une des meilleures terres de la vallée, de même que mille hectares de pâturages en affermage. Il avait épousé aussi la marque T-Y apposée sur le flanc gauche de chacun des bœufs du ranch. Et, naturellement, il avait épousé Teresa, ma mère. Il avait quarante-sept ans, huit de moins qu’elle, et il réussissait, devenu d’un coup éleveur de bétail florissant.
Afficher en entier« Alors, on pêche, je vois. Ça mord ? »
Lame Bull dévala la berge au milieu d’un tourbillon de poussière. Il s’arrêta juste au bord de l’eau.
« J’ai perdu mon leurre, dis-je.
Afficher en entierJe descendis la berge de la rivière qui coulait derrière la maison. Après une demi-heure de recherches dans le grenier étouffant, j’avais fini par trouver une cuillère rouge et blanche dans la boîte à outils de mon père. L’hameçon triple était criblé de rouille, de même que la peinture de la cuillère. Je lançai juste au bord de la rive opposée. Il n’y avait presque pas de courant. Tandis que je ramenais le leurre, trois colverts passèrent devant moi dans un bruissement d’ailes avant de filer en amont.
Afficher en entierJe pissai dans les hautes herbes du fossé et je regardai la jument alezane accompagnée de son poulain s’avancer dans la prairie roussie vers l’ombre de la cabane en rondins. On l’appelait la cabane des Earthboy, bien que personne de ce nom (ni d’aucun autre) ne l’habitât plus depuis vingt ans. Le toit s’était affaissé, la terre entre les rondins détachée en mottes, et il ne restait plus qu’un squelette nu et gris, demeure des souris et des insectes. Des chardons, raides comme des ossements, s’agitaient sous le vent chaud et venaient balayer le mur ouest. Sur la colline, juste derrière, un rectangle de barbelés délimitait les tombes de tous les Earthboy à l’exception de celle d’une fille qui avait épousé un homme de Lodgepole. Nul ne savait ce qu’elle était devenue, et les Earthboy n’existaient plus.
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