Extraits

Denis la regarde, son châle posé sur le bras, mince, dans sa robe bleue nuit, il la regarde et la regarde encore. Quel est cette vision qui le submerge ? Une petite fille blonde, en deuil, agressée par un rustre... Le 14 Juillet ! Tout à coup son esprit se déchire sous la révélation : c'est elle qu'il a sauvée quatre ans plus tôt ! Comment a-t-il pu ne pas la reconnaître ?

Flore s’aperçoit du changement qui s’opère en lui. Le jeune homme a l'air hébété de celui qui a vu l'apparition d'un fantôme.

- Que se passe-t-il, Denis ? Parle-moi, tu me fais peur.

Le monde est à feu et à sang et il n'a qu'une envie, la serrer contre lui, la prendre dans ses bras, dormir contre son cœur, dormir jusqu'à plus sommeil, oublier la Terre qui tourne à l'envers. Dormir, dormir en la couvrant de baisers.

- C'est toi... c'est toi ! murmure-t-il.

- Oui, c'est moi. J'ai été libérée de prison et...

- C'est toi, l'inconnue de la Bastille.

Flore ne peut réprimer un élan. Son bel inconnu de la Bastille la reconnaît enfin. Comment l'a-t-il appelée ? L'inconnue de la Bastille ? Elle a envie de rire ! Tous ces mois de vigilance pour ne pas lui tendre les bras... Aujourd'hui, elle baisse la garde. Ses mains cherchent celles du jeune homme.

- On ne se touche pas, rappelle le gardien.

L'officier hoche la tête et Mme Duplessis s'en va aussitôt, jambes branlantes, chercher le bébé qu'elle a laissé à Flore.

Lucile tend les bras vers sa mère et son enfant. Elle les prends contre elle, ensemble, pour les embrasser.

- Maman, ajoute-t-elle, les larmes au yeux, je te confie Horace. Prends soin de lui.

Flore, dans la cuisine, entend Mme Duplessis sangloter. Puis la porte se referme sur Lucile et les policiers.

Camille Desmoulins sort de son pas souple. L'arrondi de sa redingote salue la compagnie bien bas. Ses cheveux noirs, mi-longs, flottent tel un drapeau sur sa nuque.

En parlant, on se trompe parfois de mots. Ce ne sont pas ceux que l'on voulait employer. Trop tard. Ce sont ceux qui ont été entendus et ne peuvent s'effacer.