Ajouter un extrait
Liste des extraits
En poussant les autres espèces à l'extinction, l'humanité ne fait que scier la branche sur laquelle elle est assise.
Afficher en entierL’idée d’extinction est peut-être la première notion scientifique à laquelle les enfants d’aujourd’hui se trouvent confrontés. On donne à des bébés d’un an des figurines en forme de dinosaures, et les enfants de deux ans comprennent, plus ou moins intuitivement, que ces petites bêtes en plastique représentent en fait de très gros animaux. Ils portent encore des couches que, déjà, ils sont capables d’expliquer qu’il y a fort longtemps ont vécu d’innombrables sortes de dinosaures et qu’ils ont tous péri. Mes propres fils, alors qu’ils étaient tout juste en âge de marcher, jouaient des heures entières avec une série de dinosaures qu’ils disposaient sur un tableau en plastique représentant une forêt du Jurassique ou du Crétacé. Le paysage comportait aussi un volcan crachant de la lave qui émettait, lorsqu’on appuyait dessus, un rugissement merveilleusement terrifiant. On pourrait croire que pour l’être humain, l’idée d’extinction semble aller de soi. Et pourtant, il n’en est rien.
Aristote a écrit son Histoire des animaux en 10 volumes sans jamais envisager la possibilité que les animaux aient réellement une histoire. L’Histoire naturelle, de Pline l’Ancien, comprend des descriptions d’animaux réels et d’autres mythiques, mais n’aborde jamais le thème des espèces disparues. Cette idée n’a pas davantage été avancée durant le Moyen Âge ou la Renaissance, époques où le terme « fossile » désignait toute chose extraite du sol (un sens qui survit aujourd’hui dans l’expression « combustibles fossiles »). À l’époque des Lumières, l’idée dominante était que chaque espèce constitue un maillon au sein d’une grande « chaîne de l’être », laquelle ne peut être brisée.
Afficher en entierL’histoire de la sixième extinction, du moins telle que j’ai choisi de la raconter, se décline en 13 chapitres. Chacun d’entre eux relate le destin d’une espèce donnée, chacune étant, d’une certaine façon, emblématique : le mastodonte d’Amérique ; le grand pingouin ; une espèce d’ammonite – un mollusque – disparue à la fin du Crétacé, en même temps que les dinosaures.
Les organismes dont il est question dans les premiers chapitres sont des espèces effectivement éteintes ; aussi la première partie de ce livre est-elle surtout consacrée aux grandes extinctions du passé et aux péripéties auxquelles leur étude scientifique, amorcée grâce aux travaux du naturaliste Georges Cuvier, a donné lieu. La seconde partie se rapporte plus franchement au temps présent : j’y examine la forêt tropicale humide d’Amazonie, de plus en plus morcelée ; un flanc de montagne andine où la température augmente rapidement ; des bancs rocheux à la périphérie de la Grande Barrière de corail. J’ai choisi de me rendre en ces lieux particuliers pour les mêmes raisons que les journalistes invoquent habituellement : parce qu’il y avait là une station de recherche, ou parce que quelqu’un m’avait invitée à rejoindre une expédition donnée. L’ampleur actuelle des changements en cours est telle qu’avec des indications appropriées, j’aurais pu trouver des signes les révélant à peu près n’importe où dans le monde. L’un des chapitres porte ainsi sur un processus d’extinction se déroulant plus ou moins dans ma propre cour (et peut-être bien aussi dans la vôtre).
Si le phénomène de l’extinction constitue en soi un sujet morbide, celui de l’extinction de masse l’est au plus haut point. J’ai essayé de mettre en lumière ici les deux aspects majeurs qui lui sont liés : celui, saisissant, des connaissances que l’homme acquiert, et celui, apocalyptique, d’une désolation annoncée. J’espère que les lecteurs refermeront ce livre en ayant pris conscience de la période véritablement exceptionnelle que nous sommes en train de vivre.
Afficher en entier