Extrait

Elle ferma les yeux en ouvrant les bras en croix et inspira une grande goulée d’air en contemplant le couchant. Elle put sentir son cœur battre à grands coups dans sa poitrine, le corps entier tremblant, sachant son geste final et sans retour. Alors dans le vide, elle ne pourra infailliblement pas reculer. Elle espérait simplement s’évanouir à temps dans sa chute pour ne pas éprouver la douleur, s’il devait y en avoir une.

Mais elle repensa à Vlad et à tout ce qu’ils avaient connu et à tout ce qu’ils ne pourront désormais plus connaître, ce qui était bien plus douloureux que toutes les souffrances du monde assemblées.

« Saute ! » encouragea cette même voix diabolique.

« Elisabeta ? appela la voix d’Erzsébet, qui pénétra dans la chambre. Tout va bien ? On m’a rapporté que l’on t’avait entendue crier. Elisabeta ? »

C’est alors qu’elle eut à peine le temps de voir sa bru se laisser choir dans le vide de la méniane sans se retourner.

« Elisabeta ! hurla-t-elle. Non ! Mon Dieu… Non ! »

Erzsébet accourut vers la méniane en espérant pouvoir empêcher telle calamité d’advenir ou, au pire, rattraper la jeune femme de peu.

Elle crut voir succinctement une ombre glisser près d’elle et sauter elle aussi par-dessus le garde-fou, telle une panthère démoniaque, pour suivre Elisabeta. Elle crut même la heurter dans sa course. Puis elle entendit un horrible rire malveillant empli de fierté résonner entre les murs et même jusqu’aux tréfonds de sa chair. Une forte odeur de soufre s’ensuivit.

Puis, complètement effarée par cette vue qu’elle eut de la difficulté à concevoir, tout en comprenant que sa hâte pour sauver Elisabeta était évidemment inutile, elle s’arrêta net sur la méniane, ébranlée, tremblante et transie d’effroi.

Elle se sentit totalement égarée, comme sortie de son propre corps. Son esprit avait de la difficulté à concevoir ce qu’elle avait vu.

Dieu ! faites que ce ne soit qu’un songe atroce duquel je vais bientôt me réveiller !

Mais hélas, recouvrant ses esprits à la calamité qu’elle comprit avoir été réelle, elle courut à travers les couloirs du château en hurlant, tout en exposant à qui pouvait l’entendre ce qui s’était passé devant elle.

Alors qu’elle atteignait l’escalier, elle croisa deux gardes qui, avertis par ses cris, le montaient. Ils s’arrêtèrent net en la voyant blême, agitée et hors d’haleine.

« Madame ? Tout va bien ?

— Nicolae, allez voir le batelier et dites-lui de préparer sans tarder sa barge au plus haut de la rivière ! s’écria Erzsébet avec force.

— Mais madame…

— Pas de questions et faites ce que je dis ! Elisabeta… Elle… »

Elle ne put en dire plus, car la vision de la jeune femme se jetant de sa méniane envahissait son esprit d’une façon abominable et effrénée. Quant à cette ombre, elle ne fut pas certaine de ce qu’elle avait vraiment vu et perçu.