Extraits

La route de l'enfer est pavée de travaux en cours.

C’est dégoûtant, c’est pire que dégoûtant. Lentement mais sûrement, ça ne dérange plus personne, en Amérique, que Lindbergh lèche les bottes de Hitler.

Tôt ou tard, le goût de l'aventure m'aurait rattrapé, mais, désillusionné de voir que ma famille m'échappait, à l'instar de mon pays, j'étais prêt à découvrir les libertés que peut prendre un gamin issu d'un foyer exemplaire lorsqu'il renonce à plaire à tout le monde par sa pureté juvénile pour goûter le plaisir coupable de faire ses coups en douce.

C'est un tournant dans une enfance, le jour où les larmes de quelqu'un d'autre vous paraissent plus insupportables que les vôtres.

Livré à moi-même au retour de l'école, je me mis à passer tout mon temps avec Earl Axman, mon mentor philatéliste. Et, cette fois, je ne me contentai plus de regarder sa collection à la loupe, ni l'époustouflante variété des sous-vêtements de sa mère. Mes devoirs achevés en un tournemain, ma seule tâche domestique étant de mettre le couvert, j'avais désormais tout loisir de faire des bêtises. Et puisque, apparemment, la mère d'Earl passait ses après-midi chez l'esthéticienne ou à écumer les boutiques de New York, Earl avait lui-même toute latitude pour trouver des bêtises à proposer. Il avait presque deux ans de plus que moi, et du fait que ses parents hollywoodiens étaient divorcés, ou du simple fait qu'ils étaient hollywoodiens, l'envie d'être un enfant modèle ne semblait jamais l'avoir effleuré. Ces derniers temps, de plus en plus agacé pour ma part à l'idée d'en être un, je m'étais mis à marmonner dans mon lit : "Viens, on va faire de grosses bêtises", proposition par laquelle Earl me titillait ou me décourageait quand il se lassait de ce que nous étions en train de faire.

"Exclusif! Le reporter qui vous parle a appris que la loi de peuplement de 42 était déjà en projet le 20 janvier 1941, jour ou le Nouvel Ordre fasciste américain a installé sa pègre à la maison blanche; il était dans la corbeille lors des accords entre le Führer américain et son complice, le criminel nazi."

Et puis ce fut le charivari, la joie indicible. Lindbergh venait enfin de monter à la tribune. Mon père se leva d’un bond ; comme un demi-fou, et éteignit la radio à l’instant même où ma mère revenait dans le séjour pour demander, les larmes aux yeux : « Quelqu’un veut quelque chose ? Alvin, une tasse de thé ? »

…, et je vis que l’amertume aveugle l’homme et l’avilit.