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Chapitre premier

Un soir du début d’octobre 1941, John Lawrence conduisit les trois volontaires pour les travaux agricoles, de la gare à sa ferme.

Il faisait un froid inhabituel pour la saison. Il y avait eu une forte gelée le matin même et elle n’avait pas fondu de toute la journée. Des flaques glacées crépitaient sous les roues de sa lourde et vieille Wolseley. Il entendait le sifflement et le craquement furieux de la glace qui éclatait. Le bruit lui rappelait ces petites fusées qu’il brandissait, les nuits de feu de joie, pour amuser Joe quand il était enfant. Il ne quittait pas la route des yeux.

Deux des filles étaient derrière et une près de lui. Faith lui avait plusieurs fois répété leur nom, mais il les avait oubliés. À la gare, il n’avait pas voulu leur demander. Il leur avait serré la main, s’était présenté et avait pris leurs valises avant qu’elles puissent protester. Pour ce qu’il en pouvait juger, elles avaient l’air plutôt bien. La déléguée du district lui avait garanti qu’elle lui enverrait des filles correctes.

Mais filles correctes ou non, ces dispositions ne plaisaient pas à Mr. Lawrence. Il ignorait tout de la psychologie des filles et n’aimait pas trop ce qu’il en avait entendu dire. Faith et lui s’étaient mariés à dix-huit ans, deux mois avant la déclaration de la guerre de 1914. Faith s’était débrouillée seule pendant ses quatre années d’absence. Elle ne s’était jamais plainte, dans ses merveilleuses lettres, du froid, du misérable cottage, de la pauvreté et de l’accouchement de Joe, seule près d’un maigre feu. Quand Mr. Lawrence était revenu, vivant et sans blessure, elle avait décrété qu’ils ne se sépareraient plus jamais. Ils ne l’avaient plus jamais fait : ils ne le feraient jamais. C’était la seule femme dans sa vie. Il ne pouvait en imaginer une autre. Ils n’avaient pas de filles et il en était heureux.

Il avait fallu un certain temps pour le convaincre d’accepter ces travailleuses volontaires. Mais ses deux ouvriers agricoles avaient été appelés sous les drapeaux dans les semaines qui avaient suivi le début de cette nouvelle guerre et il était clair que lui et Joe ne pouvaient se charger seuls de la ferme. Ils travaillaient seize heures par jour et il restait encore des choses à faire. Pourquoi ne pas essayer ce plan de l’armée de terre, avait suggéré Faith, qui lisait chaque mot du journal quand on en apportait un à la maison, et qui connaissait donc tout de ce projet. Si cela ne marchait pas, avait-elle dit, ils pourraient repenser la question. Étant donné le manque criant de main-d’oeuvre dans les environs, Mr. Lawrence fut obligé de reconnaître qu’on n’avait pas le choix. Il avait cédé de mauvais gré.

Et voilà, elles étaient là, toutes les trois, dans sa voiture. Très calmes, n’échangeant pas un mot entre elles. Mr. Lawrence renifla. La forte odeur de colley mouillé, qui imprégnait l’habitacle de la voiture depuis des années, était dominée à présent par un violent parfum féminin, du genre que Faith aurait qualifié d’exotique. Répugnant plutôt, pensa-t-il. Déjà une intrusion dans sa voiture, où il aimait être seul avec ses chiens et leurs honnêtes effluves. Il se frotta le nez, en signe de protestation. La fille, à ses côtés, se raidit. Du coin de l’oeil, il la vit tourner la tête pour regarder par la vitre. Il ralentit et en profita pour détailler le reste de sa personne : de jolies petites mains gantées croisées dans son giron, une jupe coupée dans un tissu bouffant et rosâtre. Elle avait croisé les jambes et seul un genou était visible. Le petit carré de son genou était tendu sous les fibres bronze de son bas. Pendant que, fasciné, Mr. Lawrence l’observait, un rai de lumière perça un nuage gris et pénétra dans la voiture à travers le pare-brise. Un instant infinitésimal, le genou scintilla comme un joyau. Mr. Lawrence détourna les yeux. Des bas de soie artificielle ! C’était bien ça ! Faith n’en avait qu’une seule paire, pour aller à l’église. Bon, cette jeune fille apprendrait vite qu’il y avait peu de temps ou de place pour des bas de soie artificielle dans une ferme. Déjà il ne l’aimait pas. Elle irait partout dans la maison avec ses maudits bas et les ferait sécher dans la salle de bains s’il n’y prenait pas garde – il voyait ça d’ici. Une invasion totale !

« Et comment vous appelez-vous ? demanda-t- il.

— Stella. »

Stella ! Seigneur ! Il aurait dû se douter qu’elle avait un prénom bizarre. Il décida de ne pas le demander aux autres. Il connaîtrait les noms en temps voulu. À condition qu’il leur laisse le temps.

Il régla le rétroviseur et jeta un coup d’oeil à ses passagères, sur la banquette arrière. Deux petits visages flous, tachetés et brouillés par les imperfections du verre. L’une d’entre elles avait une longue frange pâle qui retombait en grande partie sur ses étranges yeux de chat, verdâtres pour autant que Mr. Lawrence pouvait en juger. Elle portait plus de rouge à lèvres que Clara Bow. Manifestement, elle se prenait pour une star de cinéma : il rirait bien en la voyant décrotter la croupe d’une vache ! Cette idée le fit sourire. La seconde le frappa comme étant plus collet monté, plus maîtresse d’école. De courtes boucles brunes, une peau pâle et rien sur les lèvres. Quel trio, pensa-t-il. Avec elles dans la maison… cela dit il leur donnerait une chance. C’était un homme juste. Il pouvait se tromper.

« Encore un demi-mile avant d’arriver, maintenant », dit-il. Il sentit un changement général dans la voiture. « C’est là que mes terres commencent, à gauche. Vous travaillerez dans les champs là-haut. »

Les têtes se tournèrent. Des boucles blondes dansèrent et se reflétèrent dans le rétroviseur terni. Des yeux verts, pleins de curiosité, s’élargirent. Il se demanda ce qu’elles pensaient de ses haies bien taillées – il était lui-même maître en la matière et elles ne croiraient jamais combien d’heures lui avait demandé ce travail et quel plaisir cela lui avait donné. Il se demanda ce qu’elles pensaient de ses champs bien moissonnés et des bois jaunissants sur la pente, au loin. La nature leur semblait-elle sauvage ? Inquiétante ? Faith avait précisé qu’aucune d’entre elles n’était une fille de la campagne. Un endroit aussi retiré que Hallows Farm devait leur paraître très étrange.

Il manœuvra l’énorme volant. La Wolseley fit une embardée et passa par une grille ouverte, en projetant la fille brune contre la blonde. De petits gloussements nerveux. Des excuses. Il roula lentement dans la cour de la ferme et s’arrêta près de la maison. Quand il eut coupé le moteur, il reposa ses mains sur le volant. Il lui vint à l’esprit qu’il devrait essayer de sourire et annoncer d’une voix chaleureuse : Eh bien, nous y voilà, les filles ! Mais il décida de ne pas le faire. Il n’avait pas l’habitude d’énoncer l’évidence et, manquant de talent de comédien, il ne pouvait dissimuler ses mauvais pressentiments. Par ailleurs, il ne désirait pas paraître antipathique et les filles devaient être intriguées par son long silence.

« Voilà, dit-il enfin. Je vais vous confier à Faith, ma femme. »

Seigneur ! comme il lui tardait de les lui confier.

Les filles s’extirpèrent de la voiture. Mr. Lawrence vit qu’elles examinaient le sol et choisissaient silencieusement leur chemin entre des rigoles de boue qui coulaient à travers le gel. Quand il prit leurs valises dans le coffre, elles sautaient d’une bande de gravier dur et argenté à une autre pour protéger leurs jolies petites chaussures de la boue jaillissante. La plus grande, la brune, semblait la plus agile. La jupe rose était hésitante et délicate ; la star de cinéma chancelait, pouffait et tomba presque. On dirait un groupe de choristes qui n’aurait pas répété, pensa Mr. Lawrence : des drapeaux aux couleurs brillantes – rose, vert, bleu pâle, si étranges contre l’austère façade de pierre de la maison. Elles lui faisaient penser à des fleurs.

Une des volailles névrosées de Faith accourut en gloussant à l’angle de la cour.

« Regardez ! Avez-vous déjà vu des poulets aussi petits ? » hurla la star de cinéma avec un accent du Nord prononcé.

La grande brune se pencha vers la poule, comme pour caresser sa tête agitée.

« Je pense que c’est une bantam », dit-elle.

Faith apparut sur le seuil. Son regard croisa celui de son mari, puis passa rapidement de la rose à la verte puis à la bleue, dénué de critique.

« Je suis si contente que vous soyez là, dit-elle. Vous devez mourir de faim et être épuisées. Entrez, entrez. »

Mr. Lawrence regarda les drapeaux colorés franchir en bon ordre le seuil obscur et commencer leur invasion.

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