Extraits

" Tout à l'heure... Je me trompais, dit D. D.

- Oui ?

- Il y a des jours où j'ai besoin qu'un homme s'occupe de moi."

" Je suis bonne dans mon métier".

C'était important pour elle qu'il le sache.

" J'avais remarqué.

- Je n'ai pas besoin qu'un homme règle mes problèmes. Je n'ai pas besoin qu'un homme me sauve.

- J'avais remarqué."

- Il nous faut plus d'information. Je sais : et si on enquêtait ? En voilà une idée qui est bonne !

D.D. leva les yeux au ciel. « Betsy et toi, ça fait quoi, quatre-vingt-dix ans que vous êtes mariés ? Qu’est-ce que tu connais aux relations amoureuses au vingt et unième siècle ?

– Oh, j’ai les oreilles qui traînent. »

Dans l’heure qui a suivi son admission, Lucy a accueilli notre surveillante en déféquant dans sa main et en mangeant ses excréments. Vingt minutes plus tard, un moniteur-éducateur (ME) l’a observée en train d’éventrer son oreiller pour s’en fourrer le contenu dans différents orifices. L’oreiller a été retiré ; Lucy ne nous a pas permis de nous occuper du rembourrage. Une heure plus tard, elle s’ouvrait le bras avec son ongle et dessinait des formes sur le mur avec son sang.

Première constatation sur notre nouvelle patiente : toute forme d’attention semblait déclencher chez elle le besoin de s’avilir. Si Lucy avait un public, il fallait qu’elle souffre.

L’arrière de la maison donnait sur une véranda grillagée. Le genre d’endroit où se prélasser par les soirées d’été infestées de moustiques. Manifestement, cette partie de la maison n’avait pas été incluse dans les plans de rénovation ; plusieurs pans de grillage étaient déchirés, les bords des dalles de lino se décollaient. Mais ça, ce n’était rien. Le revêtement de sol délabré était à présent couvert de sang, tandis que sur l’unique meuble, un futon déglingué, toute une famille avait reposé, expliquait Alex.

Autrefois, je n’aurais pas répondu à une demande aussi agressive. J’aurais exigé une phrase aimable, un ton aimable. Je ne suis pas ta bonne, lui aurais-je rappelé. Tu me dois le respect.

Mais les choses changent. Pas d’un seul coup. Petit à petit, un moment après l’autre, un choix après l’autre. Il y a des morceaux de soi qu’on ne peut plus jamais retrouver une fois qu’on y a renoncé.

Au menu donc, viande, pommes de terre et, si tout se passait bien, Chip en dessert.

Alors bien sûr, son biper sonna à sa ceinture.

Elle se renfrogna, le repoussa dans son dos, comme si cela devait changer quelque chose.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda Chip en entendant le carillon.

– Contraception », grommela-t-elle.

Chip rougit jusqu’en haut de son front dégarni et se fendit aussitôt d’un sourire à la modestie si désarmante que D.D. manqua défaillir.

Sauf que c’est bien le problème. Tante Helen ressemble tellement à ma mère qu’au fil des années elle a pris sa place. Dans ma tête, je vois les yeux de tante Helen. J’entends sa voix, je sens ses mains qui me bordent le soir. Et ça me fait souffrir parce que je voudrais que ma mère revienne. Mais elle a disparu en moi, ma mémoire déloyale l’a tuée plus efficacement que mon père ne l’avait fait. C’est ce qui m’a poussée à aller voir les rapports de police et les photos de scène de crime, si bien qu’aujourd’hui la seule image qui me reste de ma mère est celle d’un visage étrangement flasque qui fixe l’appareil photo, un trou au milieu du front.

« Nous avons docilement suivi la prescription. C’est comme ça qu’on fait en Amérique, non ? Votre enfant est un perturbateur, il se tient mal, il ne rentre pas dans le moule : droguez-le.

Deux semaines plus tard, alors qu’il dessinait tranquillement une voiture de course, Evan s’est redressé d’un seul coup et a transpercé le tympan de sa petite voisine de table avec son crayon.

Fin de l’école maternelle pour Evan. »