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Je m'aperçois aussi que je reprends un travail de mémoire commencé il y a cent ans, celui de mon arrière-arrière-grand-mère qui a recopié quotidiennement les lettres de ses cinq fils pendant la guerre. Au fond, l'histoire de ces carnets, c'est l'histoire d'hommes dont la mémoire a été conservée par des femmes.
C'est une ligne de transmission entre femmes.
Afficher en entierLe dimanche soir, je monte dans le train pour Bruxelles avec les précieux documents dans ma valise. Confortablement installée, je me sers un thé puis commence à parcourir les lettres. Au début, je bute sur les mots : les postiers sont des « vaguemestres », le café, on appelle ça du « jus ». Mais, au bout d'un moment, je m'habitue à ce vocabulaire suranné, et finis par entrer dans l'histoire. J'accompagne alors Paul dans sa progression, jour après jour, caméra à l'épaule. Ce ne sont pas des récits reconstruits ou enjolivés après coup. Paul revient de sa tranchée, et il raconte.
Afficher en entierPendant quatre heures, je photocopie les pages, une à une. Sous les flashs de la photocopieuse, les écrits, les dessins, les schémas défilent en continu. Ma mère passe me chercher vers 18 heures avec ma grand-mère. Je vois encore sa frêle silhouette à contre-jour dans la gigantesque porte du hangar. Comme je n'ai pas tout à fait fini, elles doivent patienter encore une heure. Mamou s'assied et pose sa canne près de la machine, tout heureuse de me voir travailler sur les lettres de son père. De temps en temps, elle se tourne vers ma mère : « Qu'est-ce qu'elle travaille ta fille, hein ! » Il y a de la légèreté et de la joie dans ce moment.
Afficher en entierTrès vite, je suis prise par le récit, immergée dans le quotidien de mon arrière-grand-père. Je n'ai lu qu'une vingtaine de pages, et je sens déjà que je tiens quelque chose de fort. Mon esprit fonctionne à toute vitesse : je vois l'écriture d'un homme captée sur le vif, l'expérience d'un médecin. Je vois le centenaire de la Première Guerre mondiale et la publication de ces lettres. Je vois un point de vue rare sur la Grande Guerre : celui d'un médecin, un homme, qui est du côté de la vie. Et tout de suite, comme un flash, je me vois arrêter de travailler pour écrire cette histoire.
Afficher en entier— Comment ça va, Mamou ?
— Oh ! Tu sais, à mon âge…
— Qu'est-ce que tu fais en ce moment ?
— Je fais du fauteuil !
Week-end chez ma grand-mère à Nîmes. À travers la baie vitrée du salon, les grandes branches du pin se balancent doucement. Ma grand-mère est en petite forme. Elle se remet, à 92 ans, d'une crise cardiaque. Je sais comment lui faire plaisir. Je me lève pour attraper l'un des albums photos de famille.
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