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De tout cela, je discutais une fois par semaine avec mon psychanalyste à Zurich. Nous parlions de Staline, de la Shoah et des fosses communes tandis que d'autres profitaient de leurs pause-déjeuner pour engloutir des pizzas. Tout récemment, je lui avais demandé : "Mais au fait, suis-je véritablement malade ?" "Comment voulez-vous que je le sache ?", m'avait-il répondu.
J'avais l'impression de vivre dans une machine à remonter le temps où coexistaient le passé et le présent. Quand je passais de l'un à l'autre, je me voyais comme un funambule qui vagabondait dans son existence. Sept ans, c'était aussi l'espérance de vie de ces taupes que j'avais si souvent croisées dans le journal de ma grand-mère, qui ne cessait de se comparer à elles.
Afficher en entierJ'ai relevé la tête en souriant, puis j'ai jeté un rapide coup d'œil à l'article qu'elle avait découpé pour moi. Je m'attendais à un vieux truc du XIXe siècle, encore une de ces histoires où l'on croisait des chevaux ou des habits à jabot, ou à un de ces ponts baptisés d'après l'un de mes ancêtres [...] Car je portais l'un des noms les plus célèbres de Hongrie. Chez les Batthyany, il y avait eu pléthore de comtes, de princes, d'évêques [...] La saga de la famille remontait jusqu'au XIVe siècle et aux guerres contre les Ottomans. Mais à l'ouest, ce nom de Batthyany n'évoquait pas grand-chose. La plupart des gens croyaient avoir affaire à un nom d'origine tamoule, en raison de tous ces "y" qui faisaient penser au Sri Lanka.
Afficher en entierAgnès est sortie de sa chambre. Bien coiffée et bien maquillée. Elle s’était faite belle pour moi. Ses filles l’entouraient, heureuses de voir leur mère aussi resplendissante.
- C’est notre visiteur venu d’Europe, lui expliquèrent-elles, le petit-fils.
- Qui ça ? demanda-t-elle, un peu trop fort.
- Le petit-fils, tu sais bien.
Non, à l’évidence, Agnès ne savait pas. Après nous être salués, nous avons pris place autour de la table ronde de la salle de séjour. Nous étions à Buenos Aires. J’avais fait connaissance avec Agnès grâce au journal de ma grand-mère, lequel se trouvait à présent dans mon sac. Elles avaient grandi ensemble dans un minuscule village de l’ouest de la Hongrie, où elles se croisaient chaque jour sans pourtant appartenir au même monde. Les parents d’Agnès tenaient une épicerie, ceux de ma grand-mère possédaient un petit château où se dressait un châtaignier au milieu d’une cour recouverte de gravier. Une vie tranquille à la campagne, avait écrit ma grand-mère pour décrire cette enfance, une vie qui s’écoulait au rythme des saisons. Du moins jusqu’à la guerre.
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