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Simon Bazin est l’un des kings de l’école, cet athlète musclé au sourire enjôleur que l’acné et les autres malédictions de la puberté ont épargné (toutes les écoles en ont un et, n’essayez pas de le nier, vous-même avez déjà eu un faible pour lui). Puisqu’il a un an de plus que moi, à mon entrée en première secondaire, il était celui que l’on avait désigné pour me faire visiter l’école. Emilia s’était retrouvée avec le laideron qui pue des aisselles ; moi, j’avais le mannequin Calvin Klein. J’en étais assez fière, je dois l’avouer. Simon et moi, nous nous sommes immédiatement découvert des points communs : nous sommes tous les deux amoureux du cinéma et fans d’humoristes québécois et nous détestons les mêmes choses. Seul le sport nous sépare : j’ai tendance à fuir le ballon et j’accumule les bleus et les foulures depuis que je sais marcher, mais pour faire plaisir à Simon, j’allais parfois l’encourager à ses tournois de basket ou de volley. Nous sommes vite devenus de très bons amis, mais j’avoue avoir visualisé notre mariage une ou deux fois (fois mille) et pensé au prénom de notre premier-né. Il a même eu quelques mois pour apprendre à connaître mes soeurs et ma mère avant que, l’an dernier, alors que j’imaginais les manières les plus romantiques et subtiles de l’embrasser pour la première fois, il m’accoste et me présente, sans plus de cérémonie, sa nouvelle copine, Alicia. J’étais anéantie mais, au lieu de dissimuler ma colère et de sourire naïvement à sa récente conquête, j’ai fait ce que toute fille sensée (peut-être pas le terme exact…) doit faire dans ce genre de situation : j’ai crié. Je hurlais comme si le père de mes deux enfants venait de me tromper avec la voisine, je pestais contre les garçons, contre leur manière fourbe de me faire croire en leur amour pour m’arracher le cœur par la suite. Après avoir écouté (presque) calmement mon discours, Simon m’a répondu une chose que jamais je ne lui pardonnerai : « Tu n’es pas une exception, tu es aussi bipolaire que ta mère et tes soeurs. » Alors que ces paroles auraient dû me mettre encore plus hors de moi, elles ont, au contraire, calmé mon courroux. Simon a plongé une dernière fois son regard azur dans le mien avant de partir en prenant Alicia par la main. Ma réaction était exagérée ce jour-là, je ne le nie évidemment pas, mais personne n’insulte ma famille, quelle qu'en soit la raison, et il le savait. Il avait le manuel pour désactiver la bombe et il a agi comme un démineur d’expérience. Depuis ce jour, que j’appelle le « Black Monday » (en raison du krach boursier de 1929, pas du vendredi des soldes de l’Action de Grâce aux États-Unis, je tiens à le préciser), Simon et moi faisons comme si nous ne nous connaissions pas : même pas un sourire dans le couloir, rien. Je considère (et il doit faire de même) qu’il ne mérite même pas que j’admette son existence.
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