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Cependant, nous étions habituées à ne pas nourrir trop d'espoirs, dans les camps, ayant appris par l'expérience que nos attentes ne se concrétisaient jamais. Chaque jour, chaque mois et chaque année avait apporté son lot de souffrances pires que celles endurées jusqu'alors. Nous avions depuis longtemps renoncé à tout espoir de vie meilleure. En plus d'être stupide, un tel comportement aurait été douloureux. Chaque nouvelle déception était plus difficile à encaisser, et plus le moral sombrait, plus il était difficile de fournir l'effort nécessaire pour continuer à survivre. Être optimiste ne faisait que saper vos forces.
Afficher en entierPauvre Annemarie. Lorsque les Allemands entreprirent de déporter les Juifs, elle fut envoyée au ghetto de Łódź avec sa famille, par l’un des premiers convois au départ de Prague. Je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles. Juste avant, je me rendis chez elle pour lui faire mes adieux. Elle me désigna ses livres – je lui en empruntais régulièrement.
– Prends-en autant que tu veux. Nous ne les emporterons pas.
Je choisis un ouvrage que j’avais déjà lu à plusieurs reprises, une romance de fille un peu idiote, pressentant déjà qu’il me faudrait à mon tour bientôt l’abandonner, ainsi que mes propres livres et jouets, quand viendrait notre tour d’être déportés.
Afficher en entierQuand j’étais enfant, je n’avais pas conscience des distinctions entre classes sociales. Nous appartenions à ce que l’on considère généralement comme la classe moyenne, mais le salaire de Père n’avait rien de mirobolant, aussi étions-nous contraints de soigneusement mesurer nos dépenses. Tous les mois, notamment, mes parents mettaient de côté une certaine somme afin de financer nos vacances d’été.
Afficher en entierC’est dans ce village que je fus pour la première fois confrontée à la mort.
Sur la route longeant le pied de la colline, sur la rive opposée de la rivière, gisait un cheval, la tête et le cou tournés dans le sens de la pente, avec derrière lui une charrette renversée. L’animal était inerte. Je l’observai un long moment, attendant qu’il se relève, en compagnie de plusieurs autres personnes qui patientaient également, mais la bête restait figée. Peu à peu, je pris conscience de l’épouvantable réalité : ce cheval ne se relèverait plus… Il était mort. J’en fus extrêmement troublée, terrifiée. Cependant, et comme ce serait le cas lors d’autres découvertes qui surviendraient plus tard au cours de ma vie, je n’eus pas la sensation de faire face à un phénomène nouveau, mais plutôt de sentir un savoir, en dormance en moi jusque-là, émerger à la lumière de ma conscience. Comme l’a écrit Platon : « La majeure partie de notre savoir est présente sous une forme latente au sein de notre psyché. » Ce fut pour moi le premier signe que contrairement à ce que j’avais cru jusqu’alors, le monde n’était pas un endroit si merveilleux.
Afficher en entierCes trous béants sont innombrables. Comment les combler ? Le temps presse ; qui sait combien d’années il me reste à vivre ? J’ai déjà quatre petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants. Les personnes que j’ai côtoyées durant mes premières années ne sont aujourd’hui pour la plupart plus de ce monde, et donc plus en mesure de répondre à mes questions. J’ai pour projet de rassembler les fragments manquants de ma vie et de les coucher sur papier ; peut-être cela fera-t-il émerger une vue d’ensemble qui comblera les espaces vides de la mosaïque…
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