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Ils t’avaient fait passer par-dessus la balustrade, mec, observa tristement Kid. Tu t’souviens ? — Eh, j’me souviens, je… — Pas trop bien, jugea Kid. Okay, Cherry, on y va. J’ai pas envie de retraverser la Chienne de Solitude en pleine nuit. (Il s’écarta de l’établi.) — Kid, écoute… — Laisse tomber. Je connaissais pas ton putain de nom, à l’époque, à Atlantic City, j’m’étais simplement dit que j’avais pas envie de voir le p’tit Blanc répandu sur le trottoir, tu piges ? Alors, si j’connaissais pas ton nom à ce moment-là, j’suppose que je le connais pas plus aujourd’hui
Afficher en entierQuelqu’un veut te balancer du haut d’une tour ? — La Ruse, dit Kid, j’aimerais te présenter quelqu’un. — Alors, on sera quittes ? — Henry la Ruse, cette jolie fille que tu vois là, c’est Miss Cherry Chesterfield, de Cleveland, Ohio. La Ruse se pencha pour regarder la conductrice. Casque blond, fard à paupières. — Cherry, je te présente un ami personnel, M. Henry la Ruse. Quand il était jeune et méchant, il frayait avec les Diacres bleus. Maintenant qu’il est devenu vieux et resté méchant, il s’est terré ici pour se consacrer à son art, n’est-ce pas. C’est un artiste, vois-tu
Afficher en entierLa Ruse contourna l’engin, en passant devant les crânes chromés ; il entendit la vitre de Kid Afrika descendre avec le même petit bruit évocateur. — Henry la Ruse, dit Kid, et son haleine faisait des panaches blancs au contact de l’air de la Solitude. Salut ! La Ruse contempla le long visage brun. Kid Afrika avait de grands yeux noisette, fendus comme ceux d’un chat, une moustache fine comme un trait de crayon, et sa peau avait le lustre du cuir poli
Afficher en entierLa Ruse regarda à travers les fenêtres poussiéreuses l’engin se poser sur sa jupe, devant la Fabrique, grondant et dégageant des jets de vapeur. Il entendit un cliquetis dans le noir, derrière lui : Petit Oiseau s’était caché près des casiers de pièces au rebut pour visser son silencieux sur le F.M. chinois qu’ils employaient lorsqu’ils tiraient les lapins. — L’Oiseau, dit la Ruse, en jetant sa clé sur la bâche, je sais bien que t’es qu’un connard de pauvre plouc abruti du Jersey, mais faut-il vraiment que tu m’obliges en permanence à te le rappeler ? — J’aime pas c’négro, répondit Petit Oiseau, de derrière les casiers
Afficher en entierC’est l’aut’ nègre. La Ruse se redressa et s’essuya les mains sur son jean pendant que Petit Oiseau décrochait le boîtier vert du microgiciel Méca-5 de la prise derrière son oreille – oubliant instantanément la procédure d’autocalibrage à la huitième décimale, nécessaire pour dépanner la scie circulaire du Juge. — Qui c’est qui conduit ? (Afrika ne conduisait jamais s’il pouvait l’éviter.) — J’vois pas
Afficher en entierAprès son départ, Kumiko contourna lentement la baignoire de marbre noir massive qui dominait le centre de la pièce basse et encombrée. Les murs, fortement inclinés vers le plafond, étaient revêtus de glaces d’or mouchetées. Deux petites lucarnes flanquaient le plus grand lit qu’elle eût jamais vu. Au-dessus de celui-ci, le miroir était incrusté de petites lampes orientables, comme les plafonniers de lecture dans un avion. Elle s’arrêta près de la baignoire pour effleurer le cou arqué du cygne plaqué or qui faisait office de bec verseur. Ses ailes ouvertes servaient de robinets. L’air dans la pièce était calme et chaud et, durant un instant, la présence de sa mère vint l’habiter, brume douloureuse
Afficher en entierIl ramassa les valises et, d’un pas lourd, foula la moquette bleue d’une entrée aux lambris peints en blanc. Elle le suivit – la porte se referma toute seule derrière elle, les verrous s’enclenchant de nouveau avec un bruit mat. Au-dessus du lambrissage blanc, accrochée dans un cadre d’acajou, une gravure représentait des chevaux dans un champ, de petits personnages délicats en manteau rouge. Colin, la puce-fantôme, devrait vivre ici, songea Kumiko. Pétale avait reposé ses bagages. Des flocons de neige tassée marquaient la moquette bleue. Il ouvrait à présent une autre porte, révélant une cage d’acier doré. Il repoussa les barreaux sur le côté, avec un bruit métallique. Elle fixa la cage, ahurie
Afficher en entierOn était ici aux antipodes de Tokyo où le passé, tout ce qui en subsistait, était préservé avec un soin inquiet. Là-bas, l’histoire était devenue une valeur, une denrée rare, gérée par le gouvernement et préservée par l’État ou les fondations privées. Ici, on aurait dit qu’elle composait la trame même des objets, comme si la cité n’avait formé qu’une unique concrétion de brique et de pierre, aux innombrables strates de messages et de sens, empilées au fil des siècles, génération après génération, selon le code aujourd’hui quasiment illisible de l’ADN du Négoce et de l’Empire
Afficher en entierKumiko frissonnait sur le cuir rouge et froid de l’antique Jaguar ; elle regardait, derrière les vitres, la neige tourbillonner et fondre sur la route que Pétale appelait M4. Le ciel de cette fin d’après-midi était incolore. L’homme conduisait sans mot dire, avec efficacité, les lèvres pincées comme s’il allait siffler. Le trafic, par rapport à Tokyo, était absurdement clairsemé. Ils accélérèrent pour doubler un camion sans pilote d’Eurotrans, avec son nez camus hérissé de capteurs et de rangées de phares. Malgré la vitesse de la Jaguar, Kumiko avait l’impression qu’ils étaient immobiles ; les particules de Londres se sédimentaient autour d’elle. Murs de brique humides, arches de béton, poutrelles d’acier peintes en noir et dressées comme des lances
Afficher en entierKumiko fronça les sourcils et lança le boîtier sur les genoux du fantôme. Il s’évanouit. Elle attacha sa ceinture, regarda l’objet, hésita, le reprit. — Alors, c’est votre première visite à Londres ? demanda-t-il en se condensant à la lisière de son champ visuel. Elle acquiesça, malgré elle. — Ça ne vous gêne pas de prendre l’avion ? Vous n’avez pas peur ? Elle fit non de la tête, se sentant ridicule. — Peu importe, reprit le fantôme. Je ferai attention pour vous. Nous serons à Heathrow dans trois minutes. Quelqu’un vous attend à l’arrivée ? — L’associé de mon père, répondit-elle en japonais. Sourire du fantôme
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