Extraits

– Louisa, c’est ce que je voulais te dire depuis ce matin. Tu es ma déesse. Toute la foi dont je suis aujourd’hui capable, elle ne me sert qu’à t’adorer. Nous n’avons pas eu, nous, vingt-deux ans pour nous connaître, pour acquérir la certitude que nous ne pouvions vivre l’un sans l’autre. Et pourtant, en seulement dix mois, cette certitude s’est logée dans mon cœur et personne ne pourra l’en extraire. Personne… à part toi.

Serai-je bientôt, moi aussi, dans une belle robe blanche, devant tous mes amis, en train d’accepter comme époux cet homme que j’adore ? Suis-je prête ?

Alors que je contemple le visage de David, je comprends que je le suis. Malgré mon jeune âge, mon peu d’expérience, je sais : il est le seul et l’unique. Personne ne pourra jamais le détrôner. En a-t-il conscience ? Ressent-il la même chose pour moi ? Après tout, il a tant changé depuis notre rencontre… Maintenant, il est de nouveau capable d’aimer, de s’ouvrir à une femme. Aurai-je la chance d’être celle qui partagera ses jours et ses nuits pour toujours ? Certes, je l’ai guéri, mais ça ne signifie pas pour autant que je suis son grand amour. Peut-être que tout ce que je lui ai apporté lui servira à aimer une autre femme et à faire auprès d’elle le serment de l’adorer pour l’éternité.

– David, Louisa ! C’est Sacha !

David se retourne vers moi et me jette un regard désemparé. Il pose un doigt sur ses lèvres pour me faire signe d’ignorer la présence de Sacha et de rester silencieuse le temps qu’elle s’en aille. C’est plus fort que moi : j’éclate de rire et secoue la tête pour signifier à David que je refuse. Tant pis pour le cadeau, il faudra qu’il me l’offre plus tard. Je claironne :

– Entre, Sacha !

La belle blonde, vêtue de la même robe que moi, fait irruption dans la pièce. Elle a l’air un peu affolée, ce qui ne m’étonne guère. Je m’attends à ce que cette journée soit riche en émotions ! Mon rêve était peut-être une sorte de présage… Un mariage est toujours plein d’imprévus et c’est à nous, demoiselles d’honneur, de les gérer.

Un cadeau dont je suis particulièrement fière, je l’avoue, même s’il m’a fallu beaucoup d’efforts pour l’obtenir. Heureusement, vu que David s’est beaucoup absenté ces trois derniers mois, j’ai pu prendre plusieurs petits jobs afin de financer ma « folie » sans qu’il se rende compte de rien. Serveuse, professeur particulier de français… Et puis il me restait aussi pas mal d’argent de ma bourse d’étude. On peut dire que je n’ai ménagé ni ma peine ni mon porte-monnaie, mais ça en valait le coup !

Dire que si je n’avais pas été inscrite sur la mailing list de Christie’s, la célèbre salle des ventes, je n’aurais jamais su que la machine à écrire sur laquelle Ellroy a rédigé Le Dahlia noir allait être mise en vente ! OK, c’était une folie, mais le nouveau maître du roman noir ne mérite-t-il pas de travailler sur les meilleurs outils ?

Nous sommes arrivés dans ce petit château des Hamptons hier soir, au volant de la décapotable que David a achetée pour notre road trip en Louisiane. Nous partirons dès demain, après avoir célébré le mariage de Gary et Judith. Nous roulerons vers le sud du pays à notre rythme : nous avons tout notre temps. Notre seul impératif est d’être arrivés en Californie dans quatre semaines : là, Barbara nous rejoindra et nous passerons dix jours de vacances ensemble. Oh, j’ai tellement hâte que ma meilleure amie rencontre enfin David ! À cette idée, je me sens soudain toute guillerette. David me jette un regard rassuré :

– Tu m’as l’air mieux réveillée, d’un coup. J’étais inquiet : tu criais si fort dans ton sommeil !

Il saute hors du lit :

– De quoi as-tu bien pu rêver pour avoir aussi peur ?

Confuse, je bafouille :

– Je ne me souviens plus… Plus vraiment…

Pieux mensonge. J’ai encore tout en tête : la bague perdue, Sacha et son voile noir, Sandro qui m’ouvre les bras.

Dès que je mets un pied sur le parvis, le quatuor à cordes fait retentir les premières notes du Canon de Pachelbel. Judith me rejoint, un bouquet à la main. C’est l’heure, c’est le moment : mon père et moi nous engageons dans l’allée. Judith nous emboîte le pas. Les invités se retournent pour m’observer. Mes amis sont au premier rang : Mary, Dan, Barbara… Ils me regardent en souriant. Soudain, Sacha tourne son visage vers moi, et je réalise que sa grande capeline noire est ornée d’une voilette. Je frissonne… On dirait une veuve. J’essaye de ne pas prêter attention au malaise qui s’empare de moi. Je me focalise sur David, qui m’attend sous la tonnelle de lierre et de lilas, face au pasteur qui va célébrer notre union.

Ma mère pique une dernière fleur blanche dans mes cheveux. Elle se tient derrière moi, devant la psyché. Elle passe ses bras autour de mes épaules et s’exclame :

– Tu es si belle, ma chérie !

Depuis ce petit boudoir où, depuis mon réveil, je me suis isolée pour me préparer, je peux entendre le brouhaha des invités qui attendent dans le jardin. Je passe la tête par la fenêtre : ils sont tous là, assis ; ils attendent le début de la cérémonie. Soudain, on frappe.

– Entrez !

Mon père passe la tête par l’encadrement de la porte :

– Louisa, c’est l’heure.

Il avance d’un pas et referme la porte derrière lui. Une dernière fois, je rajuste mon voile devant la glace. D’une main, j’attrape ma traîne. Mon autre main vient se poser sur le bras que mon père me tend.

– Tu ressembles à un ange, ma fille. J’espère que David sait la chance qu’il a.

Ma mère me jette un ultime regard avant de nous laisser en tête à tête :

– Bon, vous deux, je descends rejoindre les autres. À tout de suite, madame Fulton !

Avant que nous nous engagions dans l’escalier, mon père se retourne vers moi :

– Les traditions ont leur importance. Ne pas les respecter porte malheur. As-tu bien pensé à tout ? Il te faut quelque chose d’ancien, quelque chose de bleu, quelque chose d’emprunté, quelque chose de neuf.

Et, joignant le geste à la parole, je laisse tomber le drap qui dissimulait mon corps, referme les rideaux, et enlace mon amant.

Lorsque David et moi émergeons de nouveau, il est déjà 9 h 30. David, en regardant sa montre, s’exclame :

– Mince, il faut qu’on se dépêche ! Le traiteur doit être en train de faire sa mise en place. Le décorateur finalise certainement les derniers détails… Il faut qu’on se relaie pour les chapeauter.

Quel dommage ! Il va falloir se préparer à la hâte et, si ça se trouve, je n’aurai même pas le temps de lui offrir son cadeau d’anniversaire ! Mon amant m’enlace :

– Nous gagnerions du temps en nous douchant ensemble…

– David Fulton, vous êtes insatiable ce matin !

– C’est ce mariage : ça titille mon côté romantique.

Je l’embrasse :

– Moi, ça titille surtout mon côté coupable, pour l’instant : j’ai laissé Sacha se débrouiller seule ! Elle doit être en train de batailler contre la coiffeuse pour qu’on ne transforme pas les cheveux de Judith en pièce montée…

David rit.

– Ça, ce serait une véritable catastrophe.

Je me lave à la hâte et enfile la sublime robe réalisée par Maria pour l’occasion. Pendant que David est sous la douche, je sors de sous le lit un paquet cadeau que je pose en évidence sur le matelas.

Quand David ressort de la salle de bains, il se fige un instant puis pose des yeux étonnés sur le paquet à côté de moi.

– Mon ange, qu’est-ce que c’est que ça ?

Gentiment, je me moque :

– Je sais que tu n’en as pas l’habitude mais ceci, très cher, est un cadeau d’anniversaire.