Ajouter un extrait
Liste des extraits
… LE capitaine venait de crier :
— Ohé ! ceux de tribord !
Et maintenant, c’était notre tour, à nous les bâbordais, de descendre et d’aller dormir. J’en avais, quant à moi, grand besoin. Jamais encore, depuis l’ouverture de la pêche, je ne m’étais senti si las. Nous étions sur le chemin d’un banc qui n’en finissait pas de passer. Le temps de jeter la ligne et de la tirer, houp ! la morue s’abattait aux pieds de l’éventreur. Ça pleuvait comme une manne. Mais aussi, à la longue, les bras n’en pouvaient plus ; on avait les reins courbaturés à faire sans cesse, pendant six heures d’affilée, ce mouvement, toujours le même, d’avant en arrière, d’arrière en avant. Joignez qu’il soufflait une bise du nord-est, aiguë, coupante, qui vous entrait dans la chair comme une lame de rasoir. J’avais les mains labourées de gerçures, les paumes à vif, chaque glissement de la ligne m’ayant arraché quelque lambeau de peau saignante. Ce me fut un vrai soulagement, quand Guillaume, mon frère cadet, qui était de la bordée de tribord, vint me relever.
Afficher en entierL’après-dînée, il me conduisit, par des sentiers de chèvres ou de douaniers, au sommet d’une lande abrupte d’où le regard plongeait sur les goélettes trégoroises, immobiles et comme mal réveillées encore de leur long engourdissement dans les mers du pôle. Nous nous assîmes dans l’herbe roussie ; Jean-René Kerello alluma sa pipe minuscule, et, de sa belle voix lente et profonde, me conta cet épisode de sa vie d’islandais, dont je souhaiterais que ma traduction n’eût point trop altéré l’accent.
Afficher en entierLe père Kerello avait fait des études : il avait suivi les cours du collège, à Tréguier, et se souvenait, selon son expression, « d’avoir été de la même bordée que le fils du capitaine Renan ».
— Oui, me disait sa femme, la vieille Gritten, avec un accent de regret qui, dans sa bouche, ne laissait pas de surprendre, – songez, monsieur, il n’eût tenu qu’à lui de devenir prêtre.
Afficher en entierCurieuses physionomies, d’un relief peu commun, celles de ces coureurs d’océans, retirés des aventures, qui, sur les seuils de Roc’h-Vélen, passent les jours à échanger des commentaires, en suivant du regard les barques qui montent ou descendent, dans une immobilité de sages et de contemplateurs.
Afficher en entierROC’H-VÉLEN (la Roche-Jaune) est un hameau de quelques maisons basses éparses sur les deux flancs d’un ravin, à l’entrée de la rivière de Tréguier. Des petites fenêtres à bordure de granit, fleuries en été de glycines, de tournesols et d’hortensias, on a vue sur l’estuaire, vaste lac de mer apaisée, que des chapelets d’îles protègent contre les tumultes du large.
Afficher en entier