Extraits

[Dans un avion]

— Qu’est-ce qu’on se marre ! ironisa Herbert. Ah, le machin vient de s’éteindre, je vais pisser, m’sieur dame.

— Quelle élégance, remarqua Céleste.

— Pardon, madame la baronne, je voulais dire que je devais m’absenter un court instant dans le but d’uriner. Cela vous convient mieux ?

— Je sens que je vais passer de grands moments avec vous. Alors, encore désolée d’insister, mais vous n’êtes pas censé somnoler tranquillement dans votre jolie petite maison de retraite normalement ?

— Tu parles à un type qui a gravi le Mont-Blanc, je te signale. Tu peux en dire autant ?

— Non. Mais, moi, je n’ai pas besoin de canne pour me déplacer en attendant…

— Ah, je vois. C’est ça le fond du problème. Tu es aveuglée par le bel apollon au sourire plein de dents !

— Je sens comme une petite pointe de jalousie là-dedans. Auriez-vous l’impression d’être en infériorité dentaire, Herbert ?

— Pff… N’importe quoi. Moi aussi, à son âge, j’avais toutes mes dents. Il n’y a pas de quoi fouetter un « char ».

En repensant à tout ce qu’Oscarine avait vécu, Céleste réalisa à quel point sa propre vie était lisse, sans aucune vague, pas même un petit tressaillement… Elle s’était toujours appliquée à faire les choses comme il fallait, à être une gentille fille bien élevée et qui ne causait aucune peine à ses parents, à être une bonne élève appréciée par tous ses professeurs, à travailler dur pour ne jamais décevoir ses clients. Mais au fond, si elle devait mourir demain, que dirait-on d’elle ? Que c’était quelqu’un de bien, sans doute, mais après ? On ne s’attarderait pas sur son goût pour les voyages, elle n’avait jamais quitté la France, et encore, les villes qu’elle avait visitées, c’était grâce à Oscarine et Raymond, qui la trimballaient à chaque période de vacances avec eux. Mais ses parents étaient du genre casanier et, en plus, sa mère avait une phobie irrépressible de l’avion, qu’elle avait d’ailleurs plus ou moins transmise à sa fille. Ainsi, quand Oscarine proposait d’emmener Céleste dans un pays lointain, la réponse de sa mère était un « non » catégorique. Pas question que son bébé prenne l’avion ! Ses parents ne partaient que rarement en vacances. Et ce goût pour la sédentarité, c’était à Léopoldine, la mère de Christiane, qu’elle le devait. Oscarine et Léopoldine étaient aussi fusionnelles qu’elles étaient différentes. Leur seul point commun était le sang qui coulait dans leurs veines. D’un côté, Oscarine était extravertie, voyageuse et croquait la vie à pleines dents. De l’autre, Léopoldine était introvertie, timide au possible, et d’un raisonnable digne d’un curé zélé, elle ne prenait jamais de décision à la légère, tout était pesé et soupesé. La grand-mère de Céleste avait peur de tout et prenait mille précautions pour rester éloignée du moindre danger, là où sa sœur avait des allures de tête brûlée, criant à la volée que la vie ne valait la peine d’être vécue que si l’on s’employait à le faire pleinement, pas à moitié.