Extrait

Ma mère avait toujours dit qu'il arriverait un accident à cause de cette foutue bête. C'était mort, empaillé, planté dans le mur, obstinément immobile, à prendre le sale et à nous regarder de travers. Ça la faisait râler tous les mardis. Ce jour-là, elle y passait un coup de chiffon, en même temps qu'elle époussetait la bibliothèque de faux livres, la vitrine des chiens en porcelaine et la collection de porte-clés à l'étage. Elle disait : «J'vais donner un coup sur la tête du cochon à ton père.» En réalité, un sanglier de cent trois kilos à l'origine. Ma mère n'avait guère le souci du détail. Le taxidermiste, non plus. Le groin pendait, lamentable, conférant à la bête un air de pachyderme. Les pieds montés sur des socles étaient plus réussis. Ils servaient de portemanteaux dans l'entrée. «La tête du cochon à mon père» était monstrueuse, mais je n'en avais pas peur, au contraire. Quand j'étais petit, Barny (c'est ainsi que je l'appelais) me rassurait. Depuis son arrivée, je dormais le nez en dehors des couvertures, certain qu'aucun malfaiteur n'oserait passer devant pareille horreur. Barny dans le noir, éclairé par le seul faisceau jaune d'une lampe torche, il ne devait rien exister de pire. J'étais tranquille, Barny veillait.