Extraits

De retour avec le costume demandé, son majordome trouva la table renversée au milieu de la pièce. Le souvenir de ce qu’il avait subi enfant avait plongé Nikolaï dans une violente rage. Il alla prendre une douche et renonça à se raser. Ses épais cheveux noirs tombaient à la perfection. Quant au costume, il épousait sa carrure bien mieux qu’il ne s’y était attendu. Des lunettes de soleil, et il était prêt.

Par souci de discrétion, il quitta son yacht à pied et héla un taxi le long de South Quay. Ignorant le bavardage du chauffeur, il le fit patienter une fois arrivé à destination.

— Deux minutes, dit-il avec un fort accent russe.

Les deux minutes se prolongèrent en dix, grassement payées. Nikolaï observait les invités qui piétinaient sur le parvis de l’église. La police était présente pour contenir la foule de curieux, à laquelle se mêlaient des journalistes. Sev devait déjà être à l’intérieur, car il ne l’apercevait nulle part. Son ami avait toujours été introverti, plus à l’aise avec les livres qu’avec les gens. Pourtant, de nombreuses personnes s’étaient réunies pour célébrer son mariage.

Lui inclus.

Une femme élancée à la luxuriante chevelure rousse descendit d’une voiture proche. Elle riait et parlait gaiement en aidant une femme enceinte à sortir à son tour. Il reconnut aussitôt cette dernière. Il s’agissait de Libby, la femme de Daniil, dont il avait vu la photo dans un article en ligne. Donc Daniil était là aussi.

Les cloches se mirent à sonner et les deux femmes entrèrent dans l’église, imitées par les autres invités.

— Deux minutes de plus, lança-t-il au chauffeur.

Le moment tant redouté approchait.

Sev l’avait surpris à pleurer, la nuit où il s’était enfui, et lui en avait demandé la raison. Nikolaï n’avait pas eu la force de répondre, alors. Et il ne répondrait pas davantage aujourd’hui. Pas question d’embarrasser Sev avec cet épisode sordide du passé.

Sur une profonde inspiration, il descendit du taxi et se faufila dans l’église, juste au moment où la voiture de la mariée s’immobilisait devant le parvis. Avec un peu de chance, personne ne l’avait remarqué. Yuri, s’il était vivant, le traiterait de lâche. Mais pour une fois, il suivrait son propre jugement et garderait sa honte tapie en lui. Elle n’avait pas sa place dans le présent.