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Extrait

L’île des Sacrifiés

Planète Possidia, État de Dromanor, hémisphère Sud.

Storine s’allongea bras en croix sur le sol, prit dans chacune de ses mains une poignée de terre chaude et odorante, puis, sans s’occuper du jeune homme qui approchait, elle ferma les yeux. Respirer l’air salin. Profiter encore quelques instants du flot régulier de l’océan qui léchait ses pieds nus, du silence cristallin de ce rivage paisible situé en bordure du désert. Surtout, ne pas penser aux milliers de personnes, là-bas sur l’île, qui attendaient impatiemment sa venue. Croire qu’elle était libre alors que, depuis près d’un an, ce mot n’était plus pour elle qu’un rêve inaccessible.

– Sto, c’est l’heure !

L’heure. Encore. Toujours. Son corps pesait une tonne. Ses tempes étaient douloureuses. Elle ressentait chaque fois les mêmes symptômes : un mélange de peur, de joie, d’angoisse et d’excitation.

Ne pouvait-elle pas simplement se reposer ? Griffo, son lion blanc, savait, lui, combien ces séances quotidiennes la perturbaient. Aussi anxieux qu’elle, alangui au soleil, il feignait de paresser. Elle savait pourtant que l’effort à venir lui coûterait autant qu’à elle.

«Oui, malgré l’extase et ce sentiment merveilleux d’être utile et de se savoir au bon endroit, de faire précisément ce qui doit être fait. Oui, malgré tout ça.»

L’ombre d’Éridess lui cacha Terrossa, le petit soleil jaune de la planète. Le ciel apparaissait si blanc que le fixer plus d’une ou deux minutes sans porter de lunettes de protection était périlleux.

Gêné, le jeune homme fit craquer les nerfs de son bras gauche, son nouveau bras, celui qu’il venait tout juste de faire régénérer.

- Comment te sens-tu ?

«Il fait toujours ça, songea Storine. Lui aussi, il est nerveux.» Elle écrasa entre ses paumes la terre fine et sèche de Possidia.

Éridess, le Phobien, contemplait l’Élue des Dieux, celle qui donnait la vie ou la mort. La célèbre Lionne blanche des prophéties d’Étyss Nostruss, crainte par les autorités impériales, adulée par des milliards d’êtres vivants à travers l’Empire d’Ésotéria. Une fille presque comme les autres. Sa meilleure amie.

- Tu ne te protèges pas les yeux ?

D’un geste agacé, Storine lui demanda le silence. La terre s’écoulait toujours entre ses doigts. Elle la porta à ses narines, inspira profondément. «Cette terre si riche en énergie n’abrite ici que la souffrance, le désespoir et la maladie.»

Sentant la fébrilité de son ami, elle se décida à aborder de front le sujet épineux qu’elle sentait poindre entre eux depuis quelques heures.

- Que vois-tu, dans ton machin ?

En utilisant ce mot passe-partout, elle voulait faire de l’humour afin de détendre l’atmosphère. «Sans y arriver, à ce qu’il me semble.» En contre-plongée, elle fixa Éridess qui portait sur les yeux son éternel mnénotron, sorte de viseur perfectionné qui projetait directement dans ses pupilles, en trois dimensions, quantités d’informations très utiles – spécialement dans les moments importants comme celui-ci.

«Cela le fait ressembler à un crapaud, mais qui s’en souci ?»

À dix-huit ans, l’ancien fils d’esclavagiste devenait chaque jour davantage un homme. Ayant atteint sa taille d’adulte, ses épaules avaient pris un peu de chair, le bas de son visage s’était effilé et ses yeux, quoique encore un peu globuleux, ne lui donnaient plus cet aspect inquiétant, presque sauvage, qui lui avaient valu tant de moqueries par le passé. Sa peau, par contre, avait gardé ces reflets verdâtres si caractéristiques de la race phobienne.

«Heureusement, il n’a presque plus d’acné, se dit Storine. Et le climat de cette planète fait le plus grand bien à ses cheveux noirs et crépus.»

Elle mordilla le petit grain de beauté situé sous sa lèvre inférieure, car cette pensée la distrayait de son véritable problème - leur problème à tous les trois, avec Griffo !

- Il fallait s’y attendre, déclara Éridess en prenant le risque d’aborder le premier ce délicat sujet. L’île des Sacrifiés est le dépotoir de tous les pays dits civilisés de cette planète. Les gouvernements y entassent leurs pestiférés. Imagine ! Les médias interspatiaux annoncent désormais que l’Élue de Vina, toi, ma chère, y vient pour produire des miracles. Résultat ?

Il observa une pause théâtrale, fit un focus sur les rivages de l’île, situés à environ trois kilomètres de leur position, et ordonna à son mnénotron de produire une série de gros plans, juste au-dessus de la ligne d’horizon. Apparurent devant ses yeux une vingtaine d’appareils en vol stationnaire, fort bien identifiés aux sigles d’une centaine de médias qui se disputaient l’exclusivité de chacune des apparitions de l’Élue sur l’île.

- Vas-y, dis-moi le fond de ta pensée ! s’écria Storine en soufflant sur ses mèches rebelles.

Sentant qu’on touchait au «nœud du problème», comme l’appelait Éridess, Griffo se rapprocha. Un lion blanc adulte mesurait en moyenne un mètre quatre-vingt au garrot et pesait environ sept cents kilos. Mais Griffo dépassait les normes en poids, en taille et en intelligence. Il se plaça sur celle qui, pour lui, demeurait sa petite maîtresse. «Il lui fait de l’ombre pour éviter qu’elle ne se brûle les yeux, bien joué, Griffo !» songea le jeune Phobien. Storine se releva, tenta de repousser les énormes pattes.

Éridess poursuivit d’une voix sourde :

- Depuis que nous sommes arrivés, tes huit interventions ont sauvé plus de sept mille personnes, toutes éclopées ou atteintes de multiples maladies réputées incurables. Après avoir été entassés et maltraités sur cette île depuis des mois, ces gens-là repartent, complètement purifiés, dans leurs pays et villes d’origines. Cela a de quoi bouleverser toute une société, non ? Résultat? répéta-t-il en appréhendant sa réponse.

Pourquoi Storine sentait-elle de la colère dans la voix de son ami ? Que cherchait-il à lui faire comprendre ?

Au loin, la rumeur de milliers de personnes parvenait jusqu’à eux. S’agissait-il du piaffement impatient d’autres malades, car ils arrivaient maintenant de partout. Ou bien n’était-ce que son imagination, troublée par la pression qu’elle subissait deux fois par jour, soit avant chacune de ses «prestations divines», comme les appelaient les médias interspatiaux.

La jeune fille secoua sa lourde crinière orange, puis elle s’humecta les lèvres. La vérité, c’est qu’elle avait peur. Non pas des impériaux qui, sous la houlette du grand chancelier Cyprian tentait, encore et encore, de la faire assassiner. Elle ne craignait pas non plus, comme le supposait peut-être son ami, la réaction de panique des gouvernements locaux dont elle perturbait les misérables petits trafics.

Croyant avoir capté son attention, Éridess reprit, le plus sérieusement du monde :

- Ces milliers de malades, comment crois-tu qu’ils vivaient, avant ton arrivée ? Des dizaines de compagnies leur vendaient la nourriture nécessaire et leurs fournissaient toutes sortes d’articles, parfois luxueux, sans compter l’indispensable énergie pour leur permettre d’attendre la mort dans un semblant de dignité. Tu n’as pas idée des sommes que ta venue sur Possidia leur fait perdre. Des milliards !

- Ils n’auront plus de malades à qui fourguer leurs produits. Et alors ?

- Alors, ils t’en veulent à mort.

Storine accusa le coup en silence.

Lentement, elle rattacha le col de sa longue cape vert émeraude. Sa tunique de lin blanc liserée d’or aux manches était serrée à la taille par une ceinture en cuir de gronovore d’Ectaïr. Soucieuse de la nécessité de bien respirer durant son «intervention», elle la desserra d’un cran.

Alors qu’Éridess poursuivait son exposé de la situation, la jeune fille fit quelques mouvements avec son sabre psychique. Si l’on en croyait les médias, ce sabre, qu’elle brandissait au-dessus de sa tête lorsqu’elle apparaissait dans le ciel, juchée sur la croupe de son magnifique lion blanc, faisait partie d’une sorte de cérémonial. Les gens qui lisaient les comptes rendus de ses miracles à travers l’Empire attachaient beaucoup d’importance au fait qu’elle brandisse son sabre.

«Ils sont ridicules.»

Storine rajusta sur ses cheveux sa tout aussi précieuse couronne de lévitation, offerte sur la planète Delax par ses amis, Lâane et Florus, devenus depuis de célèbres jeunes scientifiques prodigues.

- Des deux attentats survenus la semaine dernière, poursuivit Éridess, je suis sûr que l’un d’eux n’est pas le fait des gardes noirs, mais des financiers que ta présence dérange.

– Je sais tout cela. Inutile de crier.

– Je n’ai pas crié ! s’énerva Éridess.

Elle frissonna malgré la chaleur accablante. Sentant son agacement, Griffo lui donna un très léger coup d’épaule. Comme autrefois, il lui sourit de ses longs yeux rouges. Enfin, il lui donna un généreux coup de langue qui fit valser sa couronne de lévitation.

En se penchant pour la ramasser, Storine sentit, dans la plus grande poche intérieure de sa cape, la forme et le poids rassurant du Livre de Vina, ce livre qu’elle ne pouvait pas perdre et que nulle force humaine ne pouvait détruire. Ce qui la ramena à la véritable raison de ce que, à défaut d’autre mot, elle appelait son «trac».

Malgré l’envolée de son exposé politico-financier, Éridess le comprit à la seconde.

«La déesse Vina…»

- Tu te fais du souci pour rien, la rassura-t-il. La déesse ne t’a jamais laissée tomber.

C’était vrai.

Depuis le début.

«Je devrais arrêter de m’en faire et m’abandonner à elle.»

La déesse, sa véritable mère.

Rendue irritable par son propre manque de confiance en celle qui l’enveloppait toujours de son énergie lorsqu’elle s’offrait à soulager la souffrance des peuples, Storine attrapa dans ses poings la crinière de son lion blanc, et se hissa d’un coup de reins sur son encolure.

Éridess recula de deux pas. «Toutes ces années d’errance, de voyages dans l’espace, toutes ces épreuves pour en arriver à ceci, se dit-il, admiratif. La Lionne blanche des prophéties. Celle qui apparaît dans le ciel pour guérir ou pour forcer les gouvernements à, enfin, apporter le bonheur à leurs peuples !»

Pourtant, Éridess lui-même n’avait jamais totalement fait confiance aux dieux. En cet instant, alors que Storine lui lança un : «Je suis prête !», un sombre pressentiment lui nouait l’estomac.

Avant qu’elle ne fasse appel à la deuxième formule de Vina et qu’elle ne se projette en direction de cette île où l’attendaient encore des centaines de malades, il ne put se retenir de lui toucher la jambe.

«Comme si j’étais un de ses fans qui sont prêts à se faire tuer juste pour capter un de ses regards, alors que je suis son meilleur ami !»

- Marsor, déclara-t-il soudain.

- Et bien ?

L’ancien pirate était précisément, en cette même minute, à son poste sur l’immense esplanade où elle devait faire sa prochaine apparition.

- Les autorités dromanoriennes lui ont promis que, cette fois, ils enverraient assez de policiers pour contenir la foule des malades. Mais il vient de m’annoncer qu’ils ne sont pas encore arrivés. Comme d’habitude, tu n’auras personne d’autre que lui pour te couvrir.

Griffo s’impatientait. Ses griffes se plantaient dans la terre meuble et soulevaient de petits nuages de poussière. Storine le fit se cabrer, puis, les cheveux au vent, elle s’écria gaiement :

- Tu as peur pour moi, Éri ?

Il haussa les épaules. Depuis leur départ de la planète Ébora, en compagnie des sept maîtres missionnaires venus prétendument pour lui révéler toute la vérité sur ses origines,six mois s’étaient écoulés.

«Six mois et quatre nouvelles missions qui nous ont menés aux quatre coins de l’Empire. Elle ne veut pas se rendre sur Ésotéria comme le lui ont demandé les maîtres missionnaires. Peut-être ne se sent-elle pas encore prête pour ça.»

- Vina me dira quand le moment sera venu, lui avait-elle dit, un soir, devant le feu de camp, alors qu’ils étaient seuls, elle, Griffo, Marosr et lui.

Les maîtres missionnaires étaient repartis bredouilles, ce qui avait plu à Storine pour la simple raison que ces gens la manipulait depuis des années.

Griffo rugit d’impatience, car Storine, qui savait qu’Éridess n’en avait pas encore terminé avec ses récriminations, ne lui donnait pas encore le signal du départ.

- Mon père est là, tout se passera bien, le rassura-t-elle.

«Et ce soir, termina mentalement Éridess, tu auras guéri des milliers d’autres malades, tu seras épuisée, vidée de toute énergie. Et moi – ses yeux brillèrent –, je te donnerai la mienne…»

Voilà d’où lui venait son bonheur quotidien. Son bonheur et sa honte.

«Gêné serait le mot exact, ou bien ennuyé. Attristé.»

Comme Storine prononçait à voix haute la deuxième formule de Vina, qui lui permettait d’ouvrir la chair de l’espace-temps et de se téléporter à volonté, Éridess sourit à cette pensée.

«Ce soir, c’est moi qui la soignerai.»

Lorsque Storine et Griffo eurent disparu du rivage, il fit faire à son mnénotron un gros plan de l’esplanade, située à trois kilomètres de distance et déjà noire de monde.

- C’est parti ! déclara-t-il dans son micro.

- Elle vient d’arriver, confirma aussitôt Marsor le pirate.

Comme toujours, le timbre fort, grave et clair de l’ancien pirate le rassura complètement.

«Avec Griffo, c’est son meilleur garde du corps.»

Comme de juste, le jeune Phobien entendit la clameur de soulagement poussée par des milliers de poitrines.

Le ciel était aussi laiteux qu’au lever du soleil, la chaleur tombait par couches épaisses sur l’océan. L’eau, presque bouillante à cette heure du jour, cesserait bientôt de rouler et d’éclabousser le rivage pour commencer à s’évaporer en de minces banderoles de vapeur multicolores.

« Des millions de banderoles qui danseront sans fin dans le ciel…»

Il sourit à cette image.

«Puis viendra la pluie, fine, si fine, inlassable et chaude, toute la nuit, jusqu’au lendemain.»

De l’endroit où il se tenait, Éridess verrait s’élever de l’île, grâce à son mnénotron, le voile moiré de mauve dégagé par l’Élue, lorsque commencerait son intervention divine. Anticipant l’émotion qui, toujours, l’étreignait, le jeune Phobien retint son souffle.

Quelques secondes s’écoulèrent. La sueur baignait son front. Ses lèvres desséchées lui faisaient mal. Il entendait battre son cœur.

Soudain, plusieurs grondements sourds déchirèrent le ciel.

«C’est comme si une dizaine de lions blancs rugissaient en même temps.»

Conscient qu’il exagérait, le jeune homme se frappa le front.

«J’avais raison !»

Au même instant, la voix de Marsor le pirate résonna dans ses écouteurs :

- Éri ! Nous avons un problème…

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