Extraits

— Athéna ? Cela serait un plaisir…

Il désigne la piste où une vingtaine de couples évolue lentement sur des mélodies de smooth jazz qui ne risquent pas de provoquer chez eux un claquage au niveau des membres inférieurs. J’ai compris : c’est le moment de payer la seconde partie de mon tribut. J’écarte les commissures des lèvres dans un sourire contraint et je me lève pour lui donner le bras. Nous commençons à nous dandiner lentement sur une reprise assez correcte de Georgia on my mind de Ray Charles au milieu de danseurs qui semblent vraiment s’amuser. Comme la consommation de liquide de qualité a certainement atteint des sommets ce soir, les invités sont tellement imbibés qu’il serait préférable de ne pas allumer de cigarette, on risque de sauter avec le bateau.

Je regarde autour de nous : nous formons, je dois l’avouer, le plus beau couple présent sur la piste. Gallo se balance en m’entraînant avec une certaine grâce dans un mélange de valse et de slow, j’ai l’impression de tourner dans un épisode d’A la Maison-Blanche ou de Scandal, Bruno Gallo est POTUS, le Président Of The United States, et moi je suis la première dame. Nous sommes le centre de l’attention, le bon peuple nous regarde, les yeux pleins d’admiration : quel couple magnifique ! Oups ! Je secoue la tête. Ma pauvre fille, faut arrêter de rêver et de boire de l’alcool par la même occasion !

Je branche ma conscience sur le flux sonore qui s’échappe sans discontinuer de la gorge de mon cavalier. Son haleine et son élocution chargées ne laissent aucun doute sur l’état avancé de son ivresse. Je distingue les mots suivants :

— … tellement merveilleuse, je ne sais pas comment la nature s’est arrangée pour mettre une intelligence si impressionnante dans un corps aussi parfait ! (Il parle de moi ? J’ai raté le début, mais j’ai bien le sentiment que c’est le cas ! Bonjour la légèreté de la flatterie, Gallo t’es vraiment le roi de la truelle à compliments !) Quand je te serre ainsi contre moi, je crois vivre dans un rêve (Eh bien réveille-toi, mon ami, sinon cela va vite se transformer en cauchemar !)… Si j’osais… (Il resserre sa prise autour de ma taille, ce qui a pour conséquence directe de me plaquer contre son corps mince et… mon Dieu ! mais je lui fais vraiment de l’effet ! Au secours ! Mayday ! Mayday ! Aidez-moi, où vous allez assister à une agression sexuelle en public !)… Je te proposerais bien de monter faire un tour sur le pont (Pour me prendre sauvagement contre une cheminée du bateau ?)… nous pourrions contempler la lune qui doit être merveilleuse, par ce soir d’été (Ouf ! On en revient à des considérations plus poétiques, la menace s’estompe. En général la poésie ça calme son homme : regardez l’amour courtois, à l’époque les garçons pouvaient passer quinze ans à baver sur le portrait de leur Dulcinée sans qu’elle ne leur accorde ne serait-ce qu’une main sous le chemisier !)...