Extrait

Point de vue de Jaya :

Je rumine. « Jaya, fais ci, Jaya, fais ça ! Jaya ne râle pas ! » Et comment que je vais rouspéter ! Encore et encore. Jusqu’à ce qu’ils m’entendent. Parce que moi je ne comprends pas pourquoi Ben et Esmé refusent de me convertir. Jo ne dit rien mais, voilà, elle ne les contredit pas. Donc elle est avec eux. Donc tous sont contre moi !

C’est tellement injuste ! Déjà que mon don ne me sert à rien… Depuis des années, je reste en retrait. Je prends mon mal en patience. Et là, j’ai enfin l’occasion d’avancer, de proposer quelque chose. Y’a juste à me convertir, merde ! Pas prête ? Bordel, comment je pourrais ne pas l’être alors que j’attends cette opportunité depuis des lustres ! Ils se moquent de moi, ce n’est pas possible ! Et puis, si ça se trouve, ils sont en train de me préparer une grande fête pour me transformer en fanfare et me donner en fin de compte une place à moi, une mission à moi ! Et je pourrai enfin prouver à Esmé et aux autres que, moi aussi, j’ai le courage, le talent, la capacité d’aider mes pairs. De les protéger. De rendre leur vie meilleure !

C’est ça ! C’est beau de rêver, Jaya. Mais tout le monde s’en fout de ta petite personne. Ils te traînent façon boulet pour éviter de t’abandonner au bord de la route, comme un chiot dont personne ne veut. Ils sont trop bons pour ça, ils ne vont pas te laisser crever. Tu devrais les remercier, ingrate ! Bla…bla…bla…

Je ne demande pas la charité, bordel ! J’étouffe. Un coup d’œil vers la scène : ça se passe bien, tout le monde se détend. J’ai cru que Greg allait exploser le technicien tout à l’heure ! Mais ça y est, tout est rentré dans l’ordre. Les lumières sont moins agressives et Ben gère sa partie. Je pars en courant vers une sortie de secours que j’ai repérée sur le fond de la salle. Je sens le regard d’Esmé sur moi, j’espère qu’elle ne me suivra pas. J’ai besoin d’espace.

Je pousse la porte et inspire une profonde goulée d’air… pollué et qui me fait tousser ! Pfff… En tout cas, je ne les entends plus, je ne les vois plus. Je ferme les yeux et je savoure le silence relatif de cette ruelle en bordure du parc. Tout relatif… Le bourdonnement du périph… L’odeur nauséabonde du conteneur à ordures à ma gauche… Le froid piquant de ce début d’automne dans le Grand Nord ! Je déteste Paris. Chez nous, je serais en t-shirt sans problème. Et ce n’est pas ce soleil blafard qui va inverser la donne. Un frôlement sur ma droite me fait ouvrir les yeux rapidement. J’ai cru voir un bout de tissu dépasser de la benne de l’autre côté de la ruelle. Non. J’ai rêvé. Je ferme mes paupières, un court instant. C’est plus fort que moi, il faut que j’aille m’en assurer. Ce n’est pas prudent, Jaya ! Oh, flûte, hein ! J’ai bien le droit de m’amuser aussi.