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Une domestique ne saurait s'imposer quand on la renvoie. Je décidai néanmoins de ne pas bouger, je gonflai les oreillers, replaçai un châle. Il ne m'autorise pas à allumer le feu. Il me refuse le droit de lui procurer ce simple confort. Enfin, ne trouvant plus à faire semblant d'avoir des tâches à accomplir, je le laissai à sa solitude.
Dans la cuisine, je pris quelques pommes tachetées de brun que j'avais retirées des seaux et je me rendis aux écuries. La cour n'avait pas été lavée depuis une semaine et exhalait un parfum de paille pourrissante et de purin. Je dus relever ma jupe pour ne pas la salir. J'étais à peine à mi-chemin que j'entendis son cheval qui s'agitait et se tournait dans l'espace étroit où il était confiné, creusant de son sabot des trous dans le sol de la stalle. Plus personne n'est assez fort ou assez habile pour le maîtriser.
Afficher en entierJe choisis une pomme qui me parut bonne et croquante et la coupait en tranches très fines, comme du papier, puis je l'emportai dans cette pièce sombre où il reste assis à ne rien faire, immobile et silencieux. Il garde une main posée sur la bible mais il ne l'ouvre jamais. Plus maintenant. Je lui demandai s'il désirait que je lui fasse la lecture. Il tourna la tête vers moi pour me regarder, et je tressaillis. C'était la première fois qu'il posait les yeux sur moi depuis des jours. J'avais oublié ce dont son regard était capable, avec qu'elle autorité il nous considérait du haut de sa chaire et nous tenait tous en son pouvoir. Ses yeux n'ont pas changé, mais son visage s'est tellement altéré, il a les traits tirés, il est pâle, et chaque ride creuse un profond sillon. Quand il est arrivé ici, il y a trois ans, tout le village se moquait avec bienveillance de ses airs juvéniles et s'amusait à l'idée que ce jeune chiot allait nous faire des sermons. S'ils le voyaient aujourd'hui, ils ne riraient plus, même s'ils se souvenaient encore de leurs rires d'antan.
« Tu ne sais pas lire, Anna.
— Bien sûr que si, monsieur le pasteur. Mme Mompellion m'a appris. »
Afficher en entierC'EST UNE SAISON que j'aimais. Le bois était empilé près de la porte, et les parfums de sève nous évoquaient encore la forêt. Le foin était coupé et brillait d'un éclat doré dans la lumière de l'après-midi. Le bruit sourd des pommes qui roulaient jusque dans les tonneaux dans la cave. Autant de tableaux, de sons et d'odeurs qui nous disaient que l'année serait bonne : que lorsque les premières neiges viendraient, les nouveau-nés n'auraient pas faim et seraient au chaud. J'aimais à me promener entre les pommiers dans le verger à cette époque de l'année et sentir un fruit tombé par terre céder sous mon pas avec douceur. Les senteurs sucrées et entêtantes de pommes trop mûres et de bois humide. Cette année, les meules de foins sont rares, et les empilements de bûches bien maigres. Mais peu m'importe.
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