Extraits

L’expression sur le visage du garçon lui apprit tout ce qu’il avait besoin de savoir. Ian soupira. Le garçon était nouveau, le fils d’un bon ami. Il ne faisait aucun doute qu’il avait vu le prisonnier et entendu les histoires de l’équipage – certaines vraies, d’autres des mythes destinés à instiller la peur chez l’enfant.

— N-non, monsieur, répondit Aine en faisant clairement de son mieux pour ne pas trahir son mensonge. Ian soupira.

— Barra t’a-t-il parlé de ton prédécesseur et de la façon dont je l’ai jeté par-dessus bord dans un accès de rage.

Les yeux d’Aine s’agrandirent de crainte.

— Je suppose qu’il a omis de te dire qu’il est ton prédécesseur.

Ian attendit que ses mots pénètrent le cerveau du garçon. Aine en resta bouche bée et Ian éclata de rire.

— Oui. Demande aux autres. Et si Barra te cause d’autres ennuis, tu peux lui dire que je vais le jeter par-dessus bord s’il ne cesse pas ses bavardages sans fin. Les coins de la bouche d’Aine se relevèrent et Ian lui ébouriffa les cheveux.

— Aye, monsieur ! Son visage était illuminé d’une jubilation à peine déguisée.

Taren se réveilla dans un grand lit à baldaquin aux lourdes tentures. Son corps lui semblait étrange, comme celui d’un bébé bercé dans les bras de sa mère. Dans son esprit embrumé de sommeil, le lent roulis lui rappela la façon dont les champs de céréales pliaient et se balançaient sous un vent puissant. Il entendait le cri des mouettes et sentait le sel dans l’air. À travers les rideaux, il voyait un ensemble de hautes fenêtres rectangulaires avec des vitres épaisses, un peu comme celles qu’il avait vues sur les bateaux à voiles dans le port. Plusieurs d’entre elles étaient ouvertes, et la brise fraîche caressait son visage et sa poitrine. Il n’apercevait rien d’autre dehors que le ciel bleu. Et rien en dessous, à part les vagues.

— Tu peux nier la vérité aussi longtemps que tu le souhaites, mais cela reste la vérité. Lui et toi semblez partager un lien profond.

— Je ne sais pas de quoi tu parles.

Un mensonge pur et simple. Ian sentait ce lien se renforcer chaque jour qui passait.

Renda secoua la tête.

— La moitié du navire peut sentir l’affirmation de tes droits sur lui. Tu ressembles à un gamin après sa première transformation. Je doute qu’il y ait un homme à bord qui n’ait pas capté le parfum de ton attirance, même sous ta forme humaine…

Ian combattit l’envie d’étrangler Renda.

- ll n'y a rien de honteux dans le désir. Rider m'a appris cela.

- Non. Mais lorsque les deux se combinent, je... je deviens plutôt possessif. Je ne veux pas te partager.

Taren écarquilla les yeux quand il comprit.

- Tu es jaloux.

- Je... Oui.

Ian se raidit et se détourna. Taren retint sa respiration un moment, essayant de comprendre son apparent changement d’attitude. Il tendit la main pour lui toucher la joue et sentit sa mâchoire se contracter.

— Ian ?

Ian ne répondit pas.

— Ian ?

Taren se redressa dans le lit, sentant sa crainte s’intensifier. Vurin lui avait-il parlé de Treande ? Taren se demandait si son don effrayait Ian autant qu’il l’effrayait lui.

— Je ne t’empêcherai pas d’être avec lui.

La douleur que Taren sentit dans le cœur d’Ian lui fit affreusement mal.

— Lui ? Mais je…

— Tu l’as vu ce soir, non ?

Ian accompagna la musique de Taren, leurs voix portant sur l’eau, les vibrations provoquant un mouvement circulaire du sable au-dessous. Ian saisit la nuque de Taren, le forçant à croiser son regard. Une expression de joie et de surprise éclairait son beau visage.

Parfait. Laisse-le comprendre le genre de plaisir que notre autre nature peut transmettre.

Les pensées d’Ian le fuirent alors que leurs corps et leurs chants atteignaient leur paroxysme.

Taren ne se retenait pas d’admirer le torse large qui s’effilait au niveau de sa taille. Pendant un instant, il pensa voir un autre homme. Ian. Il se frotta les yeux, perturbé par ce souvenir. Si ceci était réel, alors Ian et le Fantôme étaient le rêve, sans nul doute.

- Le Fantôme. Est-ce que tu connais ce navire ?

Bastien changea d'expression et pris une mine sérieuse.

-Je ne le connais que trop bien. Ainsi que son capitaine, Ian Dunaidh.

Il cracha presque ce dernier nom.

- Un bâtard de rat qui vendrait sa propre mère au diable. Le capitaine et lui se connaissent. Il sont allés à l'école ensemble quand ils étaient jeunes garçons. Le capitaine ne tolérera pas que son nom soit prononcé à bord de la Sorcière.

— Mais ce prisonnier... s’il est si dangereux, pourquoi le gardez-vous à vos côtés ?

Ian sourit.

— C’est une bonne question, mon garçon, et une qui ne concerne pas les gens comme toi. Maintenant, file dire à Cook que j’attends mon dîner bientôt.

Il pouvait difficilement dire au garçon qu’il craignait ce que Seria pourrait faire au prisonnier. La pensée de Seria à bord de son navire faisait encore bouillir sa colère – vingt ans au service du Conseil, et il doutait de sa loyauté.

— Aye, monsieur !