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L’espoir d’être heureux un jour les rendait inattentifs à la médiocrité de leur quotidien. Mais Jeanne savait bien, au fond d’elle-même, que ce mot bonheur dont elle ignorait encore le sens exact ne correspondait pas à cet égoïsme savamment dosé, qu’il exprimait quelque chose de bien plus grand que ces aspirations de « petites gens ».
Afficher en entierCoucher avec sa secrétaire, dans son monde, était non seulement prendre un risque inconsidéré, mais encore commettre un acte du plus mauvais goût. Tout compte fait, il ne lui restait plus qu’à canaliser ses pulsions vers une activité utile et innocente.
Afficher en entierNous obéissons à tout ce qui est susceptible de protéger nos intérêts particuliers ou collectifs tant que nous y trouvons notre compte. Pour le reste, nous nous arrangeons tous avec nos petits problèmes de conscience.
Afficher en entierMais, je te le répète, ceux qui franchiront la porte de ton cabinet ne sont pas seulement des patients, encore moins des cobayes, ce sont avant tout des êtres humains avec leurs peurs, leurs faiblesses, leurs rêves, leur générosité. Parle avec eux, deviens leur confident, ne cherche pas à leur plaire ni à entrer dans leur intimité, laisse-les t(accueillir d'eux mêmes. Comprends-les, accepte-les et par dessus tout, aime-les, Jeanne!Vois la beauté sous la laideur, la souffrance sous la colère, l'ignorance sous la bêtise, ne te fie pas aux apparences. Aime-les!
Afficher en entier"Ce que vous m'avez pris, personne ne peut me le rendre. Mais vivez Leridan, vivez avec vos remords, vivez avec mes morts sur la conscience.De la vôtre ou de la mienne, je ne suis pas sûre de savoir quelle souffrance est la plus pénible".
Afficher en entierEn son fort intérieur, elle s'était alors découvert une force étrange, une sorte d'instinct de survie qui la défendait contre l'adversité. Une volonté farouche de ne pas se laisser dominer. Lorsque venait le découragement, lorsqu'il se glissait en elle et commençait à lui ronger l'âme de l'intérieur, elle trouvait au fond de son être des ressources insoupçonnées pour tenir son mal à distance.
Afficher en entierDes petites gens... C'était leur mot entre eux. Ils vivaient en vase clos, toujours geignant, toujours le fiel à la bouche pour insulter le ciel ou le prix du blé, ricaner du curé ou des infirmes qu'ils croisaient le dimanche en allant à la messe. Et c'était comme si le Seigneur, les ayants faits "petits", leur avait octroyé la permission d'en vouloir à la terre entière.
Afficher en entierElle en avait eu confirmation en comprenant quel rôle, ou plutôt quelle absence de rôle lui avait été réservée. On l’avait d’abord ignorée. On l’avait laissée dans son coin sans lui adresser la parole puisqu’elle ne répondait jamais. On la regardait avec indifférence ou colère à l’image d’un meuble encombrant dont on hésite encore à se débarrasser. Les journées s’écoulaient, interminables, toutes semblables, vides de sens et d’occupations, de travaux comme de jeux. Elle n’avait sa place nulle part, ni au coin de l’âtre, ni à table, ni même dans la cour de la ferme que les commis traversaient sans la voir et où Gustave, régulièrement, prenait un malin plaisir à la bousculer.
Afficher en entierPourtant, elle ne se souvenait de rien ou presque. De quelques images confuses, d’une grande chaleur, et de cette main tendue vers elle, mais peut-être était-ce seulement un morceau de bois noirci par les flammes. Son père, Jean Marek, était pêcheur et sa mère, Augustine, couturière. Leurs visages s’étaient effacés depuis longtemps de sa mémoire. Étaient-ils semblables, en réalité, à Gustave et Lucienne Le Goff, engoncés dans leur médiocrité, peinant à supporter une vie qui, chaque jour, semblait elle-même s’affairer à épuiser toutes les ressources de la banalité ?
On lui avait seulement dit un peu plus tard que, cette nuit-là, un vieux recteur, de retour sur l’île aux Moines après un séjour sur le continent, avait aperçu l’incendie et l’avait découverte assise à une vingtaine de mètres de la maison en flammes. Il l’avait trouvée hébétée, incapable de crier ou de pleurer. Il l’avait prise par la main, puis dans ses bras car elle refusait de marcher et il l’avait emmenée au presbytère.
Afficher en entierLa poupée de chiffon était toujours posée contre sa poitrine. Humide et froide. Comme chaque soir, elle la renifla pour vérifier qu’elle non plus ne sentait pas cette insupportable odeur de moisi. Elle s’adressait souvent à elle dans sa tête quand elle avait trop peur. Elle lui racontait des secrets qu’elle s’inventait et qu’elle nourrissait chaque fois de détails différents. Elle lui parlait même d’une maman dont elle ne se souvenait plus vraiment, d’une île où elle était censée avoir vécu. D’un temps lointain où elle voulait croire qu’elle avait été heureuse.
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