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Episode 2 avant le prologue
̶ Mes chers collègues... commença Duval sur son habituel ton professoral, sans parvenir à couvrir le bruit des conversations.
Il se leva lentement, digne, réajusta son nœud de cravate, croisa et boutonna sa veste bleu marine d’un geste élégant, lissa ses cheveux grisonnants parfaitement coiffés et attendit, balayant l’assemblée d’un regard patient, que cessent les discussions.
Enfin, le silence s’installa et il put entamer sa diatribe d’une voix forte et chantante, dont le registre s’accordait à merveilles avec son allure de ténor.
̶ Eh quoi ? Mes chers collègues. Ne sommes-nous pas en train de nous entre-déchirer sur un sujet qui mérite au contraire notre alliance ? Nos cimetières sont pleins. Soit ! Notre devoir n’est pas seulement de trouver une place pour enterrer le corps du défunt Cordier. Je reviendrai d’ailleurs ultérieurement sur ce point. Notre devoir est de répondre aux besoins de nos administrés.
Déjà, quelques-uns remuaient sur leur siège, prêts à intervenir aux propos du futur président. Car personne dans cette assemblée ne doutait qu’il remplacerait Hamel à son départ en retraite.
̶ De tous nos administrés ! Quelle que soit leur opinion ! asséna-t-il pour balayer toute contestation.
Il saisit son verre d’eau, but deux gorgées avec une élégance affectée et enchaîna lentement, emphatique.
̶ Notre devoir est de satisfaire l’ensemble de leurs besoins. Vous n’ignorez pas que c’est ainsi que je conçois le développement durable, dans le plus pur respect de l’environnement. Nous sommes coupables de n’avoir pas anticipé la saturation de nos cimetières, et ce n’est pas le maire de Sainte-Marie des Champs qui me contredira. Nous n’avons plus de place pour enterrer nos morts !
Le terme morts résonna comme un glas et le silence se fit profond, macabre.
Afficher en entierEpisode 1 - Avant le prologue
̶ Messieurs ! Messieurs ! tempêta le président en claquant les deux mains sur la table. Gardez votre sang-froid, je vous prie !
Dire que la séance était houleuse serait un euphémisme. De l’extérieur, malgré le bruit de la pluie et celui des roues de voitures sur l’asphalte trempé, on reconnaissait sa grosse voix caverneuse à travers les murs épais de l’hôtel de ville.
Il fallut encore une bonne minute avant que le brouhaha ne remplace les éclats de voix, pendant qu’il mettait, retirait, triturait nerveusement ses lunettes. Il était lui-même excédé.
̶ Pour ce qui est de ce défunt, reprit-il insistant, il reste encore vingt-sept places dans les cimetières de la communauté.
̶ Mais deux seulement dans ma commune ! hurla le maire de Bois-Himont, hors de lui. Et quand la mère Cauchois va s’éteindre, il est hors de question de l’enterrer ailleurs ! Cent-huit ans ! Elle est née ici et tous les habitants la connaissent ! J’ai pas envie de les avoir sur le dos avec la radio, la télé et tout le saint-frusquin, moi !
̶ J’entends bien Monsieur Leroux. Il reste donc vingt-six places...
̶ Vous vous moquez ? éclata Langlois à son tour en se levant si brusquement qu’il fit tomber sa chaise. À Rocquefort, sur les trois places restantes, j’en ai deux réservées dans le caveau Blondel ! Alors ? termina-t-il en pointant un doigt insolent.
Éludant cette nouvelle provocation, le président tendit son long bras vers la gauche, tenant ses lunettes par le verre :
̶ Monsieur Duval, vous souhaitez intervenir.
Mécaniquement, il chaussa de nouveau ses lunettes et se plongea au milieu de ses notes volumineuses.
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