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Gina va en pension
Le changement qui intervint dans sa vie lui fit perdre beaucoup de choses, comme si sa maison avait été dévastée par une bombe.
Marcelle fut la première à disparaître. Gina l’avait toujours appelée mademoiselle, mais ne l’avait jamais vue comme la Française qui occupait la chambre contiguë à la sienne, et qui l’avait élevée pendant douze ans. Marcelle était plus qu’une gouvernante, plus qu’une employée salariée. Sa présence faisait parfois oublier qu’elle était en fait une étrangère et ne remplacerait jamais la mère que la petite fille avait perdue à l’âge de deux ans. Marcelle comprenait tout, même ce que Gina suggérait sans l’exprimer clairement, ou qu’elle ne pouvait que balbutier. Il y avait des moments où elle se sentait aussi proche d’elle que de son père. Lorsque Marcelle avait le mal du pays, si la petite fille se plaignait, elle lui répondait qu’elle devait s’estimer heureuse car elle avait encore son papa qui l’aimait plus que tout, alors qu’elle, Marcelle, avait perdu ses parents très jeune et devait gagner sa vie avec ce qu’elle avait jadis appris d’eux, sa langue maternelle. Elle ajoutait toujours que puisqu’il devait en être ainsi, c’était bien qu’elle ait trouvé un foyer dans cette maison, et même si elle ne s’était pas mariée, elle avait l’impression d’avoir une famille chez les Vitay, tout au moins un enfant. Marcelle était quelqu’un qui vous manquait quand on était loin de la maison, et Gina savait que si sa gouvernante était si bonne envers elle, ce n’était pas parce qu’elle était payée pour cela, mais parce qu’elle l’aimait.
Afficher en entierEn attendant qu'on lui dise d'entrer, elle considéra la porte avec un attachement qu'elle n'avait pas ressenti jusque là. Les impeccables chiffres quatre de Kerekes, l'exigence de Hadjù de bien suivre la mesure des cantiques, l'ordre qu'il fallait respecter, les interdits qu'il ne fallait pas transgresser, la vie quotidienne de la forteresse, tout cela lui semblait à présent bienfaisant et sécurisant. Ce monde en noir et blanc était un monde propre, rigoureux, qui n'avait rien à voir avec l'indignité et la traîtrise, l'infamie, la mort ou le danger.
Afficher en entierA présent, Gina comprenait à quel point ce qui est bon devient plus intense encore quand il faut se battre pour l'obtenir; quelle force on acquiert à vivre comme une corde invisible qui les reliait toutes, à éprouver ensemble bonheur et chagrin, à s'enthousiasmer ensemble, à espérer, attendre, s'inquiéter ensemble, à aider ensemble celui qui en a besoin.
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