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Lettre à Lady Mallowan
(...)
Oui, chère Lady Mallowan, il me paraît que décidément votre héroïne la plus romanesque et la plus mystérieuse est bien cette Agatha Christie dont l'œuvre littéraire n'a peut-être à vos yeux pas plus d'épaisseur que celle de son double mythique Ariane Oliver si souvent ridiculisée par vos soins ! Je reparlerai plus loin de cette figure ingénieuse dont je pense qu'elle est une des clefs ouvrant plus d'une porte de votre monde clos si parfaitement sur lui-même. Encore que j'aie compris la vanité de ces perquisitions aux domiciles d'écrivains qui ont bien sûr pris la fuite, ne laissant derrière eux qu'un peu de cendre et leur habit d'Arlequin.
Afficher en entierAvec la malice ordinaire de l'écrivain snob — dans tous les sens anglais du mot — et l'indomptable volonté de vous dire « amateur » comme pour donner toute son importance à votre fiction, vous avez réussi ce tour de force : rester toujours la même, solitaire et pathétiquement délaissée par tout le système de récupération attaché d'ordinaire à la carrière d'un « grand écrivain ». Cependant que votre renommée balayait tous les obstacles de lecture et que votre nom grandissait au zénith d'une forme de réussite inventée par ce siècle : le best-seller. Mais lointaine vous étiez, orgueilleuse et désabusée, lointaine aussi vous fûtes jusqu'au jour de votre mort. Échappant à toute compromission, à tout le monde et au monde.
Afficher en entier(Chapitre 2)
L'Angleterre des années vingt fut le théâtre d'un phénomène littéraire dont le secret me semble être resté, de ce côté-ci du Channel, parfaitement inviolé. Je veux parler de l'apparition — immédiatement derrière le rang d'écrivains très snobs et parfois diablement importants, assidus des cercles de Bloomsbury — d'une catégorie d'auteurs précieux et discrets, vivant généralement à la campagne ou dans de petites villes et voués corps et âme aux perverses et insidieuses délices d'une forme de fiction baptisée par eux Detective Novel.
L'ancêtre en était l'illustre Conan Doyle, lui-même héritier d'un Américain (Poe) et d'un Français (Gaboriau) ; l'archétype, le fameux Sherlock Holmes, ce drogué victorien amateur de bas-fonds. Mais eux, ces êtres doux et affables, occupés à se mouvoir toujours entre le vert des gazons, le brun du toit de chaume de leurs cottages et tous les tons rougeâtres du cachemire où rôdent les chats, tous ces amateurs de thé (très fort et avec beaucoup de lait), de chasse à travers bois, de pêche dans les étangs, de promenades à travers champs et — surtout — de livres, n'eurent en tête qu'une idée : écrire pour le confort douillet de l'esprit, en méprisant cet exotisme du réel trop souvent répandu depuis la mise au jour de l'inconscient, écrire en s'enfermant délibérément à l'intérieur du décor connu, quotidien, pour y introduire savamment le désordre et l'angoisse dont procède toute écriture — pour y semer en toute innocence l'erreur que procurent le crime et son énigme.
Afficher en entier" Oublier: de toutes ses forces, Agatha s'ingéniera dès lors à effacer toute traces de ces dix jours en enfer. .... Agatha Christie n'aimait pas l'échec, et celui-ci me semble avoir passablement conditionné la réussite exceptionnelle de sa vie d"écrivain: Agatha Christie deviendra la Duchesse de la mort, avec une obstination reconduite et jamais démentie." (chapitre 5 , page 89 )
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