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Extrait

Extrait ajouté par feedesneige 2015-07-16T16:55:48+02:00

chapitre 2

J'avais l'habitude de travailler avec les morts, l'une des conséquences inévitables de ma condition de nécromancienne. Généralement, je n'entrais dans la danse que bien après le décès - de préférence, après l'inhumation. La vue du sang me mettait mal à l'aise, et il en dégoulinait beaucoup du corps désarticulé qui avait détruit le toit de la voiture.

— Tu crois qu'on devrait appeler la police ? me demanda Rianna en se collant à moi.

Je jetai un coup d'œil à mon téléphone. J'avais oublié que je l'avais encore en main. Puis je secouai la tête. Il devait déjà y avoir une demi-douzaine de personnes en ligne avec les urgences. Les flics n'avaient pas besoin que l'on sature leur standard pour le même accident.

— Y a-t-il un médecin ou un guérisseur ? hurla l'un des passants en se précipitant vers le cadavre.

— Je suis infirmier, intervint un autre en s'approchant davantage alors même qu'une femme déclarait connaître « un peu de magie guérisseuse ».

Je fis la moue.

— Trop tard.

Je ne pensais pas l'avoir dit à voix haute, mais plusieurs curieux m'adressèrent un regard mauvais alors qu'une vieille femme, vibrant d'énergie tant elle portait d'amulettes, renifla avant de déclarer :

— Nous devons au moins essayer. Cet immeuble ne compte que quatre étages, il respire peut-être encore.

Rianna et moi nous dévisageâmes, mais ni elle ni moi ne nous donnâmes la peine d'expliquer que nous savions, sans l'ombre d'un doute, que l'homme s'était éteint. Les nécromanciennes ont certaines affinités avec les morts. Je sentais l'essence sépulcrale s'élever du corps, son froid glacial venir se frotter à mes boucliers.

Par ailleurs, le fantôme de la victime se tenait à côté du véhicule, à contempler l'enveloppe vide qu'il avait naguère occupée. À en juger par son air surpris, il n'avait pas encore pris la mesure de la situation. Ce qui n'avait rien d'étonnant, car mourir représentait toujours un certain changement. Naturellement, ce type semblait s'être jeté dans le vide, il n'aurait donc pas dû tomber des nues. Sans mauvais jeu de mots.

Le plus bizarre, du moins à mes yeux, était qu'une personne se suicidant ne devenait que rarement fantôme. Les âmes ne s'arrachent pas d'elles-mêmes aux cadavres : il faut qu'un collecteur vienne les récupérer. La plupart des mortels n'avaient pas l'occasion de négocier leur survie, néanmoins, si leur âme se débattait suffisamment, il arrivait que les collecteurs les relâchent, donnant naissance à des fantômes. Mais pour quelle raison une personne déterminée à en finir s'opposerait-elle au collecteur ?

Ce n'était cependant pas le premier fantôme suicidé que je croisais. J'ignorais ce qui poussait les collecteurs à autoriser certaines âmes obstinées à errer dans ce purgatoire que représentait pour eux le royaume des morts mais, si les spectres ne constituaient pas la norme, ils étaient assez nombreux pour me convaincre que leur présence n'était pas uniquement accidentelle. J'avais l'habitude du décor ravagé du territoire des morts, et je ne trouvais pas qu'une telle existence était très enviable - un avis d'ailleurs partagé par la plupart des fantômes.

En parlant de collecteurs... Nous avions entendu l'impact, j'avais donc dû manquer de peu la lutte entre l'âme et son faucheur. Ce dernier se trouvait peut-être encore dans les parages. Je croisai les doigts en scrutant la foule grandissante, espérant repérer un visage familier.

Je ne fus pas déçue.

LaMort, mon plus vieil et mon plus proche ami, mon confident, un homme qui, un jour, m'avait dit qu'il m'aimait, se tenait sur le trottoir d'en face. Si les badauds qui l'entouraient me paraissaient flous, à cause de ma vue endommagée, c'était ma psyché qui me permettait de le discerner ; je n'avais ainsi aucun mal à déterminer que son visage encagoulé et ses yeux noisette étaient rivés sur moi, malgré ses cheveux bruns qui lui tombaient au niveau du menton. Le simple fait de le retrouver fit jaillir un sourire sur mon visage, en dépit de l'horreur de la scène. Il n'était plus reparu depuis près d'un mois, et son absence me faisait mal à en crever.

C'est alors que je remarquai qu'il n'était pas seul. Mon sourire faiblit. Un autre collecteur, que j'avais surnommé M. Gris à cause de sa prédilection pour les vêtements de cette couleur, jusqu'à la rose grise qu'il portait au revers, était debout à son côté.

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