Extraits

Ils savent que celui qui donne son coeur perd la moitié de lui-même et ils sont prêts à se sacrifice.

Pourtant, elle s'inquiète. Une certaine inquié- tude sourd lentement de la joie qu'elle éprouve. Un triste pressentiment lui suggère que cet amour est sans lendemain. Cet amour sans avenir est pourtant plein de vie, il grandit sans peur du danger, il ne cesse de croître, de bourgeonner, de feuiller. Hier jeune pousse, il est devenu à présent grand arbre montant vers le ciel. Quant à elle, sa nouvelle vie est sortie de terre, partie de rien, appuyée sur cet arbre. C'est grâce à son amour pour lui qu'elle est libérée, et elle est persuadée que lui aussi est libéré grâce à son amour pour elle. Elle ne peut plus revenir en arrière.

Quand elle songe au verbe "aimer", elle ne peut s'empêcher de frissonner comme une écolière.

Un certain moi la quitte pour laisser place à un autre, elle n'est plus la même. C'est bien elle, mais en même temps ce n'est plus elle. Dieu ! Comme c'est étrange ! Incertaine, elle ne parvient plus à choisir entre ces deux moi, l'ancien et le nouveau.

La petite flamme palpite un instant avant de s'éteindre. Comme si elle aussi sentait une lumière s'éteindre dans son coeur, la voici soudain abattue.

Elle se rend compte maintenant que quelque chose s'est réveillé en elle, tant dans son corps que dans son esprit. Telle une eau courante qui coule sans relâche, elle se sent vraiment une autre.

Ainsi demeurent-ils en cette pièce minuscule et sombre, éclairée par une seule lampe, elle appuyée à la tête du lit, lui assis sur une chaise. Il lit un livre, elle lit le journal du soir, puis vient son tour de lire le journal et elle un livre. La télé est toujours allumée, elle diffuse un mauvais récit de peines et de joies, de séparation et de retrouvailles. Ils ne la regardent pas, mais elle entretient un bruit de fond sans lequel le silence serait trop pesant.

Comme personne ne l'aide à se maîtriser, à se dominer, sa nature emportée et nerveuse s'est irrémédiablement développée, suscitant de l'aversion chez les autres, mais aussi en elle. Elle est écoeurée et fatiguée d'elle-même, mais incapable de se réformer, elle ne sait comment résoudre ce problème.

Lentement, elle gravit l'escalier. Elle ne peut s'appuyer à la rampe rouillée, et le long du mur opposé, couvert de dessins obscènes, s'entassent toutes sortes d'objets de rebut qui empêchent de s'en approcher.

C'est alors que retentit la musique qui annonce la pause-gymnastique. Tout le monde se lève en désordre dans un bruit de chaises glissant sur le parquet ciré.