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Chapitre 1 - Kate
2 décembre 2016
Ma perruque gît sur mon bureau, à l’endroit où je l’ai lancée. Une méduse échouée. Dès que j’ai quitté le tribunal, je néglige cet élément crucial de mon costume, lui manifestant l’exact inverse de ce qu’elle est censée inspirer : le respect. Faite main, en crin de cheval, elle vaut près de six cents livres, et je compte sur elle pour accroître le sérieux dont je crains parfois de manquer. La transpiration fera jaunir les racines, et les belles boucles, d’un blanc cassé, se détendront. Il y a dix-neuf ans que j’ai été admise au barreau, et ma perruque ressemble toujours à celle d’une débutante consciencieuse – et non à celle d’une avocate qui l’aurait héritée de son père (même si la transmission se fait plus souvent entre hommes). Voilà le genre de postiche dont je rêve : terni par la patine de la tradition, du droit et du temps.
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Voici mon univers. Archaïque, anachronique, privilégié, fermé. Tout ce que je devrais, normalement, haïr. Et pourtant je l’aime. Je l’aime parce que tout ceci – ce petit ensemble de bâtisses nichées à la lisière de la City, juste à l’écart du Strand, et qui dévalent vers le fleuve, le faste et la hiérarchie, le prestige, le poids de l’histoire et des traditions – est un monde qui m’était totalement inconnu avant. Et je n’imaginais pas pouvoir un jour y aspirer. Ce lieu illustre tout le chemin que j’ai parcouru.
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— La vérité est une notion épineuse. À tort ou à raison, une procédure accusatoire n’est pas une recherche de la vérité, a asséné Justin Carew, avocat conseiller de la reine, devant une assemblée de jeunes recrues, fraîches émoulues d’Oxford, Cambridge, Durham et Bristol. Plaider consiste uniquement à se montrer plus convaincant que la partie adverse, a-t-il poursuivi. Vous pouvez gagner, même si la plupart des preuves jouent contre vous, du moment que votre argumentation est meilleure. Et la victoire est le seul objectif, bien sûr.
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Il tient quelque chose à la main, bien sûr. Depuis octobre 2015, toutes les affaires nous parviennent par voie électronique, elles ne sont plus enrobées d’un ruban rose sombre comme une longue lettre d’amour. Brian sait pourtant que je préfère me plonger dans les documents physiques, parcourir une liasse de papiers sur lesquels je peux prendre des notes, que je peux surligner, recouvrir de Post-it fluo afin de tracer, dans ses grands traits, mon plan d’attaque pour le procès.
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Sophie
21 octobre 2016
Sophie n’a jamais considéré son mari comme un menteur.
Un dissimulateur, oui. C’est une composante de son métier : une propension à se montrer parcimonieux avec la vérité. Une condition préalable, pourrait-on dire, pour un membre du gouvernement.
Afficher en entierMa famille, songe-t-elle, en regardant le trio parfait : sa fille, qui fait la course en tête, impatiente de saisir cette journée à bras-le corps, tout en jambes maigrelettes et queue-de-cheval bondissante ; son fils, qui glisse sa main dans celle de son père et lève vers lui des yeux empreints de cette vénération impudique qui lui est venue depuis son sixième anniversaire. La ressemblance entre l’homme et le petit garçon – Finn est une version miniature de son père – ne fait qu’amplifier l’amour de Sophie. J’ai un magnifique garçon et un magnifique mari, pense-t-elle, en observant les larges épaules de James – des épaules d’ancien rameur. Elle attend, elle espère plutôt qu’il va se retourner pour lui sourire. Elle n’est toujours pas immunisée contre son charisme.
Afficher en entierLa nuit d’octobre grimpe le long des fenêtres à guillotine : l’obscurité est adoucie par la lueur des lampadaires, l’automne s’installe mine de rien. Sophie adore cette période de l’année, synonyme pour elle de nouveaux départs – elle se revoit courir dans les feuilles qui jonchaient les immenses pelouses de Christ Church, à Oxford, cette première année, alors qu’elle était grisée par la perspective de tous ces nouveaux mondes s’ouvrant à elle. Depuis qu’elle a des enfants, cette saison est devenue le temps du cocooning, celle où l’on se prélasse au coin de la cheminée avec des marrons grillés, où l’on se réchauffe avec un ragoût de gibier après une brève promenade vivifiante.
Afficher en entierIl semble pourtant prendre racine sur son fauteuil : tête baissée, les coudes sur les genoux, les doigts joints comme pour prier. Au début, cette posture hypocrite lui inspire du mépris – celle de l’homme politique repentant, que Blair a si bien su incarner –, puis elle se radoucit en apercevant le tremblement, unique, qui agite ses épaules : pas un sanglot mais un soupir.
Afficher en entierSophie n’a jamais considéré son mari comme un menteur.
Un dissimulateur, oui. C’est une composante de son métier : une propension à se montrer parcimonieux avec la vérité. Une condition préalable, pourrait-on dire, pour un membre du gouvernement.
Afficher en entierSon regard volette de mon verre vide à la carafe de whisky, aller et retour. Il ne dit rien. Il observe, c’est tout. Je pousse un murmure évasif qui ressemble plutôt à un grognement guttural.
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