Commentaire de EllexaH

La géniale Anne-Sophie Hennicker frappe encore avec cette saga incroyable.La géniale Anne-Sophie Hennicker frappe encore avec cette saga incroyable.

Jamais deux sans trois…Anne-Sophie Hennicker, après le courageux Ne Renonce Pas et le tourbillon émotionnel Ebbstone, signe ici un premier tome audacieux, bourré de qualités, et qui prouve que la jeune autrice a décidément un don rare : elle fait partie du clan précieux des conteuses modernes et fascinantes.

Jill est une jeune femme normale. Elle suit des études brillantes, elle a son cercle d’ami, son double, Carmen, ses fleurs et ses livres, et elle ne demande pas plus de la vie que la continuité de cette existence qui lui sied. Mais la nuit venue, cauchemars et sensations d’oppression rythment son sommeil, et cette impression de plus en plus inexorable qu’elle est suivie par un inconnu au manteau, et une ombre terrifiante. Et si sa petite ligne de vie tranquille cachait en fait un tout autre monde ? Son quotidien rangé est sur le point d’imploser, et les dégâts pourraient largement dépasser le spectre de l’imagination…

Une des premières qualités de ce roman, c'est probablement le fait qu'Anne-Sophie prenne le temps. De tout. D'installer son personnage, la courageuse Jill, dans son univers, pour mieux ensuite casser ce quotidien. De placer Jill dans un cadre et un contexte de normalité pour mieux exprimer l'anormalité de son destin. De donner à Jill une teneur, une couleur, une âme pour mieux la malmener et lui donner l'opportunité de s'élever dans l'intrigue. Elle ne précipite pas son action, elle pose les bases avec précautions, lentement, ne distillant ici et là que des poussières qui vont petit à petit faire l'histoire. Grâce à ce choix, le lecteur va avoir le bonheur de pouvoir trouver ses marques et saisir toute l'ampleur des choix et des sacrifices de la jeune femme. L'incipit est puissant en ce sens. Il se refuse à la facilité.

Une nouvelle fois, les dialogues sont vifs, brillants, réalistes et parfaitement articulés. Rien n'est sous ou sur-dosé, et chacun à sa voix propre, ses façons de parler, de penser, même. On n'est jamais perdu sur qui parle, pourquoi, et comment. L'équilibre entre narration et conversations est d'ailleurs parfait. Une fois encore, témoin d'un immense travail préparatoire et de probables réécritures multiples pour atteindre ce degrés de précision.

Que dire de l'action ? Elle est palpitante, haletante au point que le lecteur ne puisse pas reposer le roman avant de savoir. Anne-Sophie maîtrise le syndrome du "une page de plus et je m'arrête"...Sauf qu'on ne s'arrête qu'arrivé au bout, et l'autrice ne nous fait aucun cadeau. Quand la fin du premier tome intervient, elle laisse le lecteur à bout de souffle et probablement prêt à tous les écarts pour avoir la suite le plus vite possible. C'est un cliffhanger en bonne et due forme qui nous tombe dessus, parfaitement calculé, fabuleusement frustrant. L'autrice sait ce qu'elle engage, elle est totalement maître en son navire, et surtout, elle fait de nous ce qu'elle veut.

La construction des personnages est ici encore quasiment parfaite. Anne-Sophie sait comment construire un protagoniste brique après brique, ils sont tous uniques à leur propre façon, elle parvient à leur donner une couleur, une ampleur, un code moral propre sans jamais juger. Elle sait aussi doser le nombre de personnages, pour se tenir loin du trop grand nombre impossible à apprécier, mais tout aussi loin de l'écueil du trop peu. Tout est équilibré, précis, clair et puissant.

Fidèle à elle-même, Anne-Sophie refuse la romance facile et insuffle ici des brises qui réveillent les papillons dans le ventre du lecteur. Rien n'est vulgaire ou évident, tout est délicat, honnête, réaliste. On se retrouve à envisager des histoires, à les imaginer, à les souhaiter, même. Nul doute que des ships vont se créer chez les lecteurs.

Un des aspects les plus frappants de ce premier tome demeure l'installation de la peur dans l'esprit du lecteur. Tous les mécanismes propres à la création du suspens dans la culture pop moderne sont ici détournés et réutilisés, sans jamais tomber dans le stéréotype. Anne-Sophie réutilise des grands archétypes du film d'horreur contemporain pour les mettre à sa sauce. Ainsi, les cauchemars sont oppressants, la présence des ombres est inquiétante, et à la façon dont l'autrice sème la trouille là où on ne l'attend pas contribue à un environnement instable, où tout peut arriver à tout moment. Naturellement, l'effet premier, c'est que le roman devient spontanément palpitant, et impossible à lâcher, et qu'Anne-Sophie crée le manque avec cette fin aussi spectaculaire qu'impossible.

L'intrigue, pour finir-par qu'il faut bien finir, il y a tellement à en dire !-est, sans grande surprise quand on connaît les qualités de l'autrice, un condensé d'idées géniales, de revisites intelligentes et subtiles d'archétypes, avec une dose incroyable de références pop totalement intégrées. Le tout est solide, visuel, clair et assumé, et Anne-Sophie ne perd pas de temps à s'auto-justifier. Elle fonce droit vers ses concepts et ne lâche jamais la main du lecteur, provoquant de ce fait une ouverture d'esprit pour ce dernier. Ce qui est hors du temps ou inenvisageable devient brusquement territoire des possibles, et on se surprend à regarder derrière soi dans la rue pour voir si une créature masquée nous suit.

Inutile de chercher plus loin : si c'est un moment de pur bonheur que vous cherchez, Anymis est votre champion. On se prendrais presque à rêver qu'une des plateformes de streaming en fasse une série. Mais faites attention, parce qu'une fois commencé...Vous ne pourrez pas vous arrêter. Anne-Sophie Hennicker fait définitivement partie de ces créatrices d'histoires et d'émotions avec laquelle il faut compter. Il me semble qu'on appelle cela...Le talent.