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Archie avait déjà affronté Gretchen à deux reprises et avait chaque fois failli y laisser la vie. Il était accro aux antalgiques et elle avait bouleversé son psychisme. Henry savait plus que tout autre qu’il avait besoin d’une cure de désintoxication et d’une bonne analyse. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était que son ami, une fois à l’hôpital, ne voudrait plus en sortir.

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L’applique au-dessus du lit d’Archie était allumée et, assis sur les draps immaculés, sa tête aux boucles brunes calée par le mince oreiller plié en deux, il lisait une épaisse biographie. Depuis un mois, il avait acquis le droit de porter ses propres vêtements, pantalon en velours, pull-over et chaussons. Il avait maigri et, de loin, il ressemblait à l’homme qu’Henry avait rencontré quinze ans plus tôt, séduisant et respirant la santé. Intact.

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L’heure des visites était passée depuis longtemps dans le service psychiatrique du Centre médical Providence quand Henry emprunta l’ascenseur à l’arrière du bâtiment pour gagner une petite salle d’attente. La porte menant aux chambres était fermée à clé. Sur une table, à côté du téléphone, le registre des visiteurs et une pile de brochures pour Al-Anon{2}. Henry ne signa pas le registre, personne ne le signait jamais. Il décrocha. Au bout d’un moment, l’infirmière de garde répondit :

— Puis-je vous aider ?

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C’était ainsi depuis deux mois, depuis que l’Artiste, Gretchen Lowell, s’était échappée. La Brigade spéciale travaillait vingt-cinq heures sur vingt-quatre sans négliger le moindre indice. La première fois, il leur avait fallu dix ans pour l’arrêter. À présent, ils savaient à quoi elle ressemblait, les effectifs avaient été doublés, pourtant Henry n’était pas certain qu’ils parviendraient un jour à la capturer. Ils perdaient trop de temps à suivre des fausses pistes. Un suicide par noyade, une fusillade à North Portland, quoi qu’il se passe, les gens imaginaient y voir l’œuvre de Gretchen.

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Le détective Henry Sobol récupéra le scellé dans le lavabo des toilettes. Quatre morceaux de chair, dont trois repêchés dans la cuvette, luisaient sous le plastique transparent. Plus lourdes qu’elles n’y paraissaient, violacées, presque noires, les tranches aux bords déchiquetés semblaient avoir été découpées avec un couteau-scie. Dans un coin du sac en plastique, le sang et l’eau mélangés formaient un triangle de jus rose. Rien à voir avec la viande aseptisée, charnue et appétissante emballée dans un film alimentaire au supermarché. On avait tué pour obtenir cela. Ou bien quelqu’un avait voulu faire des brochettes avec un animal renversé sur la route.

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Il y avait quelque chose dans les toilettes, quelque chose qui était remonté à la surface de l’eau pour s’arrêter au bord de la cuvette. Un morceau de chair, de chair crue, comme si un détraqué avait dépouillé un rat avant de le noyer. Il resta un moment coincé là, puis tomba sur le sol avec un bruit mat, glissa sur la flaque, effleura le pied de Dakota et disparut dans la cabine voisine.

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Amy se retourna et vit sa fille dans la cabine, porte grande ouverte, blême, le regard vide, les poings serrés. Les toilettes débordaient, l’eau passait par-dessus le bord de la cuvette et formait une flaque qui avançait, comme mue par un courant. Quelque chose tourbillonnait au milieu, une chose veinée de rouge, quasiment semblable à du sang menstruel. Amy se demanda une seconde si Dakota ne venait pas d’avoir ses règles.

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— Allez, Dakota, viens.

La gamine écarquilla ses grands yeux bleus.

— J’irai pas là-dedans.

Ça avait été ainsi durant tout le voyage. Ils étaient partis, comme chaque été depuis que Dakota était toute petite, rendre visite à la famille d’Erik à Hood River. La fillette avait toujours adoré cette balade. Mais cette année, elle avait passé son temps à envoyer des textos et à écouter son iPod. Si Dakota n’avait pas joué les pestes depuis deux jours, peut-être Amy se serait-elle montrée plus compréhensive.

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Les toilettes, sur l’aire de repos de l’autoroute I-84 qui longe la Columbia et borde l’Oregon au nord, étaient répugnantes. Répugnantes même pour des toilettes d’autoroute. Les carreaux de faïence blanche des murs disparaissaient sous les graffitis ; le papier-toilette et les essuie-mains, arrachés de leurs distributeurs, jonchaient le sol de béton, les portes de deux cabines, à moitié dégondées, pendaient bizarrement et l’odeur si particulière des escaliers de parking, mélange unique d’urine et de ciment, flottait dans l’air.

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