Extraits

–– Oh, je dois me raser ! Alain adore quand j’ai le minou en moustache de Hitler. Il plaisante en riant, « j’aime bien baiser Hitler.»

–– Voulez-vous que je le fasse, proposa l’abbé ? 

–– Oui. Vous trouverez le nécessaire dans la salle de bain.

Il avait prié Sabine de s’asseoir sur le divan de jardin sous l’auvent du toit. Agenouillé sur le sol, il lui avait délicatement écarté les jambes et mis de la mousse avec un blaireau. Il rasait la peau délicate avec le soin d’un barbier de western. Le rasage achevé, les plis de l’aine et le mont de Vénus tamponnés et séchés d’une serviette blanche,

–– Mettez-vous à l’aise, demanda-t-elle espiègle ! 

Pendant qu’il se déshabillait, elle ajouta « Ôtez tout, mais gardez votre col romain s’il vous plait.»

Idi, Amin et Dada étaient les noms de code qu’ils s’étaient choisi pour cette opération. Par facétie anti-black et pro despote. Idi Amin Dada était le président à vie qui sévissait sur l’Ouganda. Les trois affreux qui sous-traitaient pour les services bekhouriens se donnaient des noms de code pour leurs communications et pour parler devant leurs victimes. C’était discret et ça leur rappelait une époque heureuse de leur vie. Car ils n’étaient pas cruels, balourds, violeurs, assassins, lâches ni sadiques, non ! Ils étaient militaires. Enfin, pas tout à fait, anciens militaires. Et qualifiés pour cette mission.

Sur leur insistance et à contrecœur, le Professeur fut bien forcé de leur lâcher des informations supplémentaires. Il leur demanda leur compréhension : il voulait protéger son invention. L’information clé était qu’il avait confirmé une nouvelle particule. C’était le graviton après lequel on courait depuis 1934, lorsque Einstein en avait prédit l’existence dans la Relativité générale. Le graviton courbait l’espace-temps sous l’effet des masses. Cette particule prédite, jamais détectée, lui, il avait réussi. Tout partait de là. La suite n’était que détails et physique appliquée.

–– Remarquable. Connaissez-vous déjà son spin, demanda Brigitte Serreault ? 

–– ⅓, répondit Bonassoli.

–– Les neutrinos n’ont que des spins nul, entier ou demi-entier, objecta Bernard Michaux.

–– C’est ce qu’on apprend dans les hautes écoles aujourd’hui. C’est dépassé.

Il posa un 45 tours sur une platine et la voix d’Adriano Celentano emplit la tente du prototype Omega d’un twist endiablé.

–– Le spin, on aurait dû l’appeler le twist ou mieux le jerk, cria Bonassoli qui poussa encore le son !

–– Je vais vous illustrer ce qu’est le spin et ses sous-composantes, dansant maintenant sur la musique et se déhanchant de manière irrégulière sous les yeux stupéfaits des deux jeunes scientifiques. Tout en dansant, il chantait,

–– Nous devons tenir compte de l’opérateur vectoriel hermitien et du principe d’incertitude d’Heisenberg pour résoudre l’équation de Schrödinger. Sans quoi le chat sortirait de sa cage et on pourrait calculer les deux autres axes orthogonaux. Alors qu’ils ne doivent justement plus être mesurables ! 

Celentano chantait toujours à tue-tête. Bonassoli courait maintenant autour des machines et poursuivait,

–– La physique quantique, ce n’est pas que des mathématiques, il en faut beaucoup, mais l’intuition est primordiale ! Le comportement des particules est si éloigné de notre entendement d’humanoïdes ! Vous le savez mieux que moi. Pour un moment cinétique quantique, il existe une base de vecteurs propres notés S, où S est entier ou demi-entier, et Ms, est un entier ou demi-entier prenant …

Les décibels étaient si forts qu’on n’entendait plus rien du danseur fou. Soudain, la musique s’arrêta.

–– …jection sur un axe z arbitraire dans l’espace, finissait la tirade du savant qui restait debout immobile sur une jambe. Avant que ses interlocuteurs puissent ouvrir la bouche, il poursuivit toujours dans sa position de statue de sel,

–– Il n’y a pas que le spin qui compte, mais son moment cinétique orbital. Et celui-ci comme ses autres composantes font que le spin ⅓ existe bel et bien.

Michaux reprit sans se laisser démonter :

–– Si le graviton a un spin de ⅓, il ne peut être ni un boson qui n’ont que des spins entiers ou nuls, ni un fermion de spins demi-entiers ! Or, l’Univers ne comprend que des fermions ou des bosons ! 

–– Bravo jeune homme, et on peut aussi se poser la question : « Mais que vont-ils devenir ? », mais ça, c’est un autre sujet. Le graviton n’est en effet ni un fermion ni un boson et il ne peut pas l’être selon l’effet Zeeman anomal. Quoique, si l’effet anomal est anormal, on ne sait jamais. Le graviton est un neutrino particulier, unique, extraordinaire, fantastique et c’est normal puisqu’il est le médiateur de la gravité relativiste ! Convenez que doté d’une telle mission, c’eût été trop beau qu’il fût simple. Je vais à présent vous simuler son comportement mathématique, ne vous effrayez pas Madame, j’ai toute ma tête.

Il se coucha sur le sol et se comporta comme s’il était pris d’une crise d’épilepsie. Celle-ci passée, il se releva, s’épousseta et dit,

–– Voilà, c’est comme ça, c’est compliqué et désordonné la mathématique quantique, les comportements des particules ressemblent à une danse de Saint-Guy. Et nous, pauvres humains, nous tentons d’y comprendre quelque chose. Tout ce que je viens de vous démontrer n’a d’ailleurs pas la moindre importance. En ayant tout recalculé, je me suis aperçu qu’un spin de 3/2 pour le graviton fonctionnait tout aussi bien qu’un spin de ⅓. Même bien mieux. Avec un spin de 3/2, la supersymétrie, le Graal serait en vue. À part le graviton, on n’a pas découvert de particule de spin 3/2. Après tout, peu importe. Le spin du graviton serait non pas ⅓, mais 3/2, ce qui en ferait un fermion. Et vous Monsieur Michaux, vous seriez rassuré, la ferme serait bien dotée. Si vous permettez que je vous taquine.

Il terminait sa tirade hilare, jovial, amical, passant le bras sur les épaules de son jeune confrère. Sa joie, son enthousiasme, son comportement cordial étaient contagieux.

–– Le chemin vers la connaissance est long, reprit-il calmé, plein d’embuches. Et merveilleux lorsque soudain la lumière se fait sur une partie du tableau que certains appellent la Création. Nous avons le privilège et la chance, Madame et Monsieur d’être les modestes acteurs de cette recherche.

Il regarda sa montre.

–– Houlà ! Excusez-moi, je dois terminer pour aujourd’hui, j’ai à faire. On se revoit demain ?