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La silhouette de la prison m’est apparue brusquement, juste après un virage serré. Une forteresse-usine aux miradors carrés et aux murs gris surmontés de chevaux de frise. Une immense cathédrale païenne aux tours vitrées. Divers bâtiments posés les uns à côté des autres, sans souci de continuité, sans logique apparente. La route débouchait directement sur un parking. Je m’y suis garé, j’ai arrêté mon moteur et observé cette Jéricho aux murs indestructibles. Il était là. Il respirait ici, juste derrière, à quelques dizaines de mètres, enfermé, vêtu de sa combinaison blanche. A.F., race blanche, sexe masculin, cheveux bruns, 5 pieds 9 pouces, 166 livres, année de naissance, 1975, pas de cicatrices, tatouage à la nuque, signification indéterminée. Meurtre au premier degré. Couloir de la mort. Du coin de l’oeil, j’ai aperçu un mouvement lent. Un gros véhicule frappé aux armes de la centrale s’approchait. Je suis descendu de voiture, prenant les devants, me suis avancé vers cet hippopotame d’acier, gauche, sans menace. Un employé de la prison, au volant, a baissé la vitre et demandé ce que je foutais là. Ma réponse n’a pas satisfait l’homme dont l’uniforme bleu paraissait neuf, dont le badge doré scintillait, dont les mâchoires étaient habilement serrées pour accentuer l’allure mâle donnée par le costume réglementaire. Vous ne pouvez pas rester là. Il faut partir.
Afficher en entierLe garçon au teint blanc et cireux transpirait. De grosses gouttes huileuses dégoulinaient sur son front et ses tempes. Par moments, il retenait d’énormes renvois de bile dans sa bouche avant de les cracher dans une bouteille en plastique transparent. Un liquide marronnasse remplissait presque le récipient. La salle d’embarquement était pleine et une mère aux joues de lune rappelait à l’ordre ses enfants dans une langue qui grattait comme un costume de chanvre. Les enfants sont venus s’asseoir à ses côtés et se sont jetés sur les sucreries qu’elle leur tendait. L’heure approchait, la jeune femme derrière son comptoir appelait les passagers à se présenter pour l’embarquement. Son uniforme bleu marine était cintré, pincé. Posé sur le haut de son crâne, un chignon tore, comme un donut, lui donnait l’air ridicule de ceux qui n’en ont pas conscience. Fin d’escale à Oslo.
Je me suis levé, j’ai attrapé ma valise et l’ai fait rouler jusqu’au comptoir avant d’exhiber ma carte d’embarquement puis de m’engouffrer dans le long tube qui conduisait à l’avion. Deux femmes devant moi racontaient des banalités sur les pays qu’elles avaient visités et la richesse des échanges entre cultures. Arrivé dans l’avion, j’ai emprunté l’étroit couloir jusqu’à mon siège, près du hublot. Ma valise rangée dans le compartiment à bagages, je me suis assis et j’ai posé ma tête contre la vitre. Le ciel était blanc, la piste mate, sans reflet, pas une lumière pour lui donner vie. Après une courte attente, la poussée est arrivée, la piste s’est détachée et, rapidement, le blanc du ciel a avalé le hublot. L’écran face à moi, enfoncé dans l’appuie-tête du siège de devant, me donnait les consignes de sécurité. J’écoutais d’une oreille distraite en regardant le ciel se dégager lentement. Tout en bas, les arbres noirs de Norvège se dressaient, rangés comme une armée de géants brûlés par la foudre. Les épaisses croûtes de neige qui émaillaient le paysage en ce début de printemps n’apportaient que tristesse à une terre désolée.
J’avais quitté Paris quelques heures plus tôt après avoir empaqueté rapidement mes affaires dans la valise noire. Mon billet d’avion fumait encore. Plus de chat à nourrir, tout juste une porte à claquer sur des fenêtres aux volets clos, un parquet aux lattes écartées, poussière débordant des rainures, une odeur rance de frigo en fin de mois et la porte d’une chambre que je n’avais jamais pu rouvrir.
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