Tous les livres de Carole Achache
« Ma mère m’a laissé une énigme, l’histoire de notre relation. Elle avait la particularité de n’aimer que des homosexuels. Elle travaillait chez Gallimard et était écrivain. Elle m’a permis d’être le témoin, avec mes yeux d’enfant, d’un moment exceptionnel de la vie intellectuelle et littéraire après la Libération. Littérature, politique, amitié et mauvaise foi, pieds et poings liés. Le Parti communiste, la smala d’Espagnols exilés pour la plupart, débarquant chez elle, rue Poissonnière, quand elle a commencé sa liaison avec Juan Goytisolo, dès mes trois ans. Bourrasque d’individus remarquables qui avaient envie d’être libres au sortir de la guerre. Violette Leduc, Duras, Florence Malraux, Jorge Semprun, Faulkner, Jean Genet, Queneau, Giacometti. Je les ai côtoyés sans être consciente de mon privilège. Elle, et ses emballements. Moi, et ma féminité.
Je la regarde, je l’aime. Je ne comprends pas tout. Je ne vis qu’avec des adultes. J’observe, je grandis, je pose des questions. Ma mère se dérobe. Me dire la vérité, c’est déclarer ses failles. Elle bredouille des approximations. Mon univers a beau se distinguer par son intelligence, il ne m’éclaire pas. Je dérape. Je deviens une furie. Quelque chose ne tourne pas rond. Quand cela a-t-il commencé ? Jusqu’où vais-je aller ? Je ne la quitte pas. C’est elle qui s’en va. Elle rend son âme. Elle me lègue ses agendas. Je tombe sur une mine d’or. Je les lis, je les décrypte. Je vois mais c’est trop tard. Je suis enfermée dans le silence. Je ne raconte rien. J’ai honte de ce que j’ai vécu. Elle aussi s’est tue, je l’ai appris par hasard. Ce roman parle du silence. Je ne sais plus si je l’aime. Je l’ai trop protégée. Elle s’appelle Monique Lange, et elle a tout d’un ange. Elle se passerait de son sexe, de ses seins, du sang, et surtout du sperme. Et pourtant, je viens d’elle. Je rêve d’un monde où plus personne n’aura honte d’avouer ce qu’il est ou ce qu’il a été. »
Elle n'a pas dix-huit ans, elle est belle, aztèque et esclave.
Il est conquistador et vient envahir le Mexique. Tout les sépare. Pourtant, par amour, elle est capable du pire pour l'étranger, qu'elle nomme le capitaine barbu. Elle accepte les pillages, les viols et les massacres. Elle l'aide à l'anéantissement des siens.
Qui est-elle? Comment peut-elle, même par passion, se livrer à une telle trahison?
Bouleversant, ce roman sensuel nous plonge dans les contradictions intimes d'une femme volcanique, déchirante amoureuse qui incarne le fraces de la rencontre entre deux mondes. Une femme dont le nom est irrémédiablement lié à la disparition d'une civilisation.
En 1999, trois ans après la mort de ma mère, je reçois un coup de fil d'un inconnu. L'homme travaille au musée Beaubourg et s'occupe de la gestion des collections. Il m'apprend l'existence d'un tableau volé par les nazis à mes grands-parents et m'annonce qu'il est question de me le restituer. J'ai tout de suite la chair de poule. C'est, me dit-il, un tableau de Jacques Mauny, La Plage de Trouville. Je possède deux autres Mauny, ai-je alors murmuré. Je comprends que l'Histoire m'a rattrapée et en même temps je ne comprends rien de ce qui m'arrive. Cet homme me suggère de fouiller dans les papiers familiaux pour trouver des traces de cette oeuvre. Je n'ai pas le droit de me dérober, mais ça tombe très mal. Ce passé me pèse. Je lui en veux. J'ai profité du décès de ma mère pour lui tourner le dos. Nous prenons rendez-vous et échangeons nos informations. La Plage de Trouville a été repéré chez mon grand-père en 1930. Les Allemands l'ont pris en 1942. Et c'est à moi, me dit l'homme, d'apporter la preuve de l'appartenance de ce tableau à ma famille jusqu'à la seconde date. Je reste sans voix. Tous les témoins sont morts. Aucune photo. Tout a disparu de cette époque. La situation vient de se renverser. Je suis devenue une requérante qui va harceler l'Etat français pour récupérer ce bien.