Tous les livres de Gérard Bessette
Sans tomber dans le réquisitoire pour dénoncer les pouvoirs occultes dont les Québécois étaient victimes, surtout au plan sexuel et culturel, l'auteur a su y arriver à travers un personnage pour qui il était impossible de pactiser avec les gardiens de la rectitude, regroupés souvent en associations secrètes, qui se posaient en ardent défenseur d'un peuple francophone et catholique en terre d'Amérique.
Hervé est l'employé d'une librairie dans une petite ville de province alors que la lecture est considérée comme un acte suspect par les élites religieuses et politiques. Elle est étroitement surveillée par une censure officielle comme l'Index et par celle, officieuse, des différents pouvoirs. Pour veiller au respect des interdits, les autorités se fient à la vigilance des curés.
Ce contexte opprime le héros. Faisant fi des anathèmes, il vend des livres condamnés que l'on conserve dans un capharnaüm secret pour satisfaire la clientèle autorisée. La nouvelle se répand vite malgré la confidentialité qui entoure les ventes. Le héros mène aussi son combat contre les tabous sexuels. Il profite de sa propriétaire, bien consentante, non pas par amour pour elle, mais pour la satisfaction de prouver sa virilité dans la plus grande indifférence aux décrets de la morale.
L'auteur a bien saisi le Québec d'avant 1960. Son petit chef-d'oeuvre milite éloquemment en faveur d'une libéralisation pour sortir de ses ornières une société coulée dans le béton avec ses interdits étouffants. L'auteur a donné à son propos la forme d'une longue nouvelle au dénouement inattendu. Il l'a fait avec une simplicité pleine de sous-entendus et avec une écriture efficace, teintée d'humour pour que son oeuvre n'accrût pas, j'imagine, l'inventaire des capharnaüms secrets. Bref, c'est la rébellion tranquille par l'indifférence aux normes établies. Le temps a prouvé que c'était la conduite à adopter pour se libérer de notre carcan.
Quand Jules Lebeuf n'est ni à son travail ni à ses cours, il est avec deux comparses d'université dans des salles enfumées, à boire de l'alcool de mauvaise qualité.
Il y a Ken Weston, un «Américain» qui tâche de mettre en thèse les particularités des «Canadiens français» et Augustin Sillery, un fils de riche efféminé qui adore pérorer avec grandiloquence. Et Lebeuf boit.
Pour retarder le moment où il devra rentrer chez lui, retrouver cette serveuse potelée avec laquelle il est accoté et qu'il garde par habitude; pour passer le temps, avant d'aller à la Compagnie de Transport Métropolitaine où il travaille pour payer ses études à l'université.
Il étudie parce qu'il veut écrire, faire sa marque intellectuellement, tout en se demandant jusqu'à quel point son rêve est une confortable posture qui l'aide à regarder les prolétaires de haut. Jusqu'à ce que la vie le force à entrer dans la bagarre.