Tous les livres de Heimito Von Doderer
Les Divertimenti marquent l'entrée en écriture de Heimito von Doderer. D'une forme empruntée à l'écriture musicale, chaque récit est une composition destinée à être dite à haute voix. Ces divertissements présentent des personnages en quête d'eux-mêmes : comment devenir un homme par delà les contingences de l'éducation, des idéologies et des habitudes ? La brièveté de la forme concentre l'action sur le moment de la révélation, de la libération, elle en fait des contes à suspens où le hasard, puissance supérieure du destin pour Doderer, surpasse toujours la volonté du personnage.
On peut être un homme respecté, avoir mené une vie exemplaire, avoir fait carrière dans l'administration en gravissant tous les échelons du mérite, et se retrouver pourtant nu quand sonne l'heure de la retraite. Comme un ange déchu, l'inspecteur Julius Zihal «tomba d'abord dans un espace vide, une sorte de zone intermédiaire, un étrange no man's land intercalé entre une autorité mystique, ou du moins mystérieuse, et la vie». Pour se protéger de cette vie qui le désoriente mais dont il est curieux et qui l'attire comme ces silhouettes entraperçues le soir dans l'encadrement de fenêtres éclairées, il va peu à peu tisser autour de lui un cocon d'où n'émerge, à la lueur de la lune, que le tube oblique d'une lunette indiscrète. Occupé à cataloguer ces étoiles terrestres, enfermé dans un système astronomico-administratif patiemment élaboré nuit après nuit, il ne verra pas venir la chute. Elle aura des conséquences inattendues.
On retrouve dans ce court roman aux apparences de tragi-comédie le thème central de l'univers de Doderer : la découverte de soi, la marche vers l'authenticité. L'analyse du cas Julius Zihal est conduite avec la précision, la jubilation et l'humour qui caractérisent cet auteur viennois que l'on n'a pas fini de découvrir.
Paru en Allemagne en 1938, Un meurtre que tout le monde commet est le premier roman important de Heimito von Doderer, l'auteur des Démons. L'œuvre immense et extrêmement originale de ce romancier le place au premier rang des écrivains autrichiens, à côté de Musil et de Hermann Broch. Ce livre rassemble les éléments d'une enquête policière, ceux d'une éducation sentimentale et ceux, enfin, d'un roman d'initiation que n'épuise pas l'anecdote : parvenu à l'âge adulte, Conrad Castiletz ("Kokosch", l'anti-héros romantique du roman) qui mène dans l'Allemagne des années vingt, la vie ordinaire et sans histoire d'un fils d'industriel, s'efforce un jour de résoudre l'énigme de la mort de la soeur de sa femme, survenue plusieurs années auparavant.
L'extraordinaire construction de ce livre où ressurgissent, avec la force du leitmotiv, certaines images-clés, la densité poétique et souvent baroque du style, suggèrent une volonté d'élucider ces ellipses de la vie où Doderer perçoit non pas le déterminisme d'un hasard mais la magie d'un destin. Toute l'oeuvre de Doderer, du reste, s'articule autour de personnages égarés dans l'Histoire collective et que l'on voit chercher inlassablement la nature de leur identité. Telle est la fatalité de Conrad qui découvre avec stupeur que la seule chose à laquelle il ne peut échapper est son enfance.
Il y a chez Doderer comme la mélancolie d'une énigme impossible. Et c'est peut-être de là que provient la beauté étrange de son oeuvre.