Tous les livres de Michel Luneau
Rare, l'écrivain qui vit de sa plume.
Le plus souvent, comme celui dans la peau duquel Michel Luneau s'est glissé, il exerce une activité professionnelle plus ou moins passionnante et lucrative. En ce qui le concerne, c'est plus, beaucoup plus que moins. Il dirige, en effet, à Pans, une agence de publicité en vogue. Ce qui ne l'empêche pas d'être, depuis toujours, dévoré par le démon de l'écriture. Tous les trois ou quatre ans, il s'attaque à un nouvel ouvrage, et s'accorde une dizaine de jours dans un lieu connu seulement de ses proches, pour ne penser qu'à ça, " lancer la machine ", écrire jusqu'à plus soif, loin de toutes les publicités du monde.
Lorsque commence le livre, nous sommes au moment précis où se pose pour l'auteur le choix du lieu. Ce qui ne sera pas, comme bien l'on pense, sans conséquences sur la teneur du futur roman.
Pour Michel Luneau, qui entonna jadis {le Cantique des organes} et poursuit, depuis son {Mémorial du sang}, une légende fantastique du corps, le sexe est une personne, avec son caractère et ses particularités, qui analyse ses états d'âme, ses ambitions, ses défaites, ses frayeurs. Il nous parle avec naturel et simplicité et rejette petit à petit les tabous dont on l'entoure et les clichés qui lui collent à la peau. Ecoutez : Je suis le membre. L'organe mâle. Le dépositaire du sacré." "Il n'y a dans le corps que le cerveau et moi, comme un roi et son bouffon agitant une feuille de vigne." "Prêterai-je à sourire si je dis que certains soirs, moi, le sexe, j'ai le coeur gros." "Quand un sexe peut-il prendre sa retraite ? C'est selon." Cette phrase, enfin, qui illustre tout à la fois l'humour et la dérision avec lesquelles le {Sexe-Je} demande, après tant de siècles, un peu d'amitié vraie : "Je suis le clochard du corps. Un petit écu, messieurs dames !" {Sexe-Je}, l'émotion, la cocasserie, l'effronterie et la pudeur, comme les reines de ce texte étonnant."
On le sait : nous abritons des personnages par dizaines et centaines. {Le Mémorial du sang} en fait l'extraordinaire inventaire. Chacun, qu'il soit muscle ou organe, a sa manière d'être, son orgueil, sa volonté. Par exemple le cerveau : un chef, dont les intérêts ne sont pas toujours, loin s'en faut, ceux du coeur. Le sang ? De tous les éléments qui font le corps et l'esprit, le plus important. Intercesseur, il est à la fois mémoire, interrogation, exigence... Sur le thème du sang, Michel Luneau a écrit un drame d'une absolue originalité. Nous entrons sans obstacle dans le monde où, entre la tempe et l'aorte, la clavicule et le poumon, nous retrouvons nos préoccupations, nos hantises, nos valeurs. Ce sang ne se contente pas d'irriguer, il est personnage de roman. Il dialogue avec le cerveau et revendique une vie psychique qui lui est propre, ce sang est, si l'on peut dire, de notre temps. Il l'est encore quand, à cause de lui, se pose un problème que nous n'aurons aucune peine à transposer : comment réaliser l'unité du corps en respectant chacun dans sa différence mais en exigeant un minimum de sens collectif ? Il l'est enfin quand, établissant que le sang de l'autre est le salut, il parle de solitude et se découvre dans l'amour.
"Je suis mort, mort et enterré. Ca fait drôle", commence le récit. Il fallait de l'humour, noir bien sûr mais aussi de la tendresse, de l'indignation, de la curiosité, et une bonne dose d'éducation religieuse à l'ancienne, pour raconter, comme dans un roman, les aventures souterraines de ce mort ordinaire en attente de jugement et si possible de résurrection.
Les "chroniques de la vie d'en dessous" s'inscrivent naturellement dans la poétique de cet auteur, qui a fait de la folie, du sang, de sexe et de la mort ses quatre points cardinaux.