Tous les livres de Raymond Roussel
Martial Canterel, scientifique et inventeur, invite ses collègues à visiter son parc, Locus Solus. Ils y verront des créations complexes et étranges, dont un énorme diamant de verre rempli d'eau et contenant une danseuse, un chat sans poil, et la tête de Danton. On découvre alors que les visiteurs sont en fait morts, ressuscités par Canterel grâce à un liquide de son invention, la résurrectine.
Qu'on ne s'attende pas à un roman d'aventures, encore moins à des souvenirs de voyage : Impressions d'Afrique, paru en 1909, est un laboratoire d'expérimentation littéraire, où l'histoire commence au chapitre I ou au chapitre X, selon le choix du lecteur ; chaque mot en recèle un autre, chaque phrase contient en germe un roman à venir. Edmond Rostand, le premier, fut fasciné ; puis Marcel Duchamp - il dit s'en être inspiré pour La Mariée mise à nu -, Michel Leiris, André Breton,
Georges Perec... Et pourtant, ce texte magistral, où les excès de l'imagination n'ont d'égal que l'extrême maîtrise de l'écriture, n'intéressa pas même les éditeurs Roussel dut le publier à son compte. Est-ce l'œuvre d'un fou mystificateur ? d'un hermétiste ? d'un oulipien avant l'heure ? Peu importe. Comme l'écrivait Paul Reboux : " C'est un livre extraordinaire, ahurissant, cocasse, chimérique ; donc, ce n'est pas un livre indifférent. "
En face, du côté gauche de la jetée,
Debout et tous tournés vers la plage, des gens
Sans direction bien fixe, indécis et lents,
Sont arrêtés ; un acte en bas les intéresse
Tous passionnément ; chaque regard se baisse
Vers le bord de la mer, sinon pour la beauté
Des vagues, du moins pour quelque incident guetté.
R.R.
"La doublure" est l'histoire de Gaspard Lenoir, comédien voué à l'échec, éternelle «doublure» au théâtre et dans l'existence. Outre sa rédaction en alexandrins, "La doublure" s'impose pour l'époque par une savoureuse description burlesque et baroque du carnaval de Nice.
Un titre : Comment j’ai écrit certains de mes livres, quelques images, comme celle de la statue de l’ilote faite en baleines de corset, roulant sur des rails en mou de veau, des anecdotes et un profil de dandy millionnaire et extravagant : tout cela assure à Raymond Roussel (1877-1933) une réelle célébrité – sans compter sa mort mystérieuse un 14 juillet à Palerme. La méthode d’écriture qu’il avait mise au point, reposant sur un usage systématique du calembour et du double sens, fait, en outre, qu’il occupe une place singulière dans l’imaginaire français du XXe siècle.
Ses maîtres étaient Jules Verne, Pierre Loti et H. G. Wells. Il s’est exprimé comme eux dans le roman d’aventures exotiques (Impressions d’Afrique) ou la science-fiction la plus futuriste (Locus Solus). Apprécié des créateurs d’avant-garde, de Salvador Dalí, qui lui a consacré un film et plusieurs tableaux, ou Marcel Duchamp, auquel il a inspiré son Grand Verre, à Georges Perec, il a été salué par André Breton, dans son Manifeste du surréalisme, comme « le plus grand magnétiseur des temps modernes ».
Chez Roussel, tout peut arriver, y compris (mais rarement) des choses vraisemblables. C’est pourquoi la lecture de ses oeuvres, ici réunies pour la première fois en un seul volume, produit une véritable fascination, qui rejoint les féeries de l’enfance, la magie d’un temps suspendu. L’enfance était le seul univers fréquentable aux yeux de l’écrivain, qui s’était ainsi « érigé une réalité sur mesure », comme le note Yann Moix, l’un de ses plus fervents admirateurs.