Stéphan Pascau

Impressionnante recherche, et convaincante bibliographie pour cet auteur marginal des Lumières. On suit l'histoire éditoriale de chaque livre comme le résultat d'une enquête au plus profond des archives, loupe en main, avec révélations et trouvailles étonnantes. Dulaurens n'a pas écrit "Thérèse philosophe" mais il est l'auteur de quelques célèbres et piquants brûlots oubliés ou jamais attribués avant la parution de cet ouvrage chez Champion. Il y a une suite, non moins séduisante, parue aux éditions Les Points sur les i (Paris): "Ecrire et s'enfuir, dans l'ombre des Lumières". Il s’agit de la biographie de ce Dulaurens, bien attachant personnage, émouvant, touchant, attristant lorsqu'il sombre dans les cachots d'une justice ecclésiastique impitoyable. Il aurait pu être Mozart, Diderot, ou Dupontel dans ses rôles d'idiot comique...

Cet ouvrage complète une première publication intitulée "Henri-Joseph Dulaurens (1719-1793), réhabilitation d’une œuvre". Les deux volumes sont indépendants. Le premier est une reconstitution bibliographique, le second une biographie. L’ensemble est issu d’une thèse littéraire, première et unique somme sur la vie et les écrits dispersés de ce petit génie des Lumières, que l’on voudrait protéger tant il paraissait insolent de lucidité, de fantaisie et de mal-être. Quoique résultant d'un travail universitaire, la rédaction d'ensemble est agréable, parfaitement lisible et destinée au plus large public.

Original, insolite, prenant, addictif, touchant, comique ou tragique, et terriblement humain. C’est l’histoire d’un trublion plus attachant qu’enragé, entré en religion par contrainte et qui va passer sa vie à publier clandestinement pamphlets et provocations, et à s’enfuir.

Ce livre est très surprenant ! On y découvre l'histoire vraie d'un homme entré dans les ordres contre sa volonté, au siècle des Lumières, et qui passe sa vie à dénoncer sa condition en publiant constamment des pamphlets, des poésies satiriques, des contestations publiques, des romans que la critique et la censure combattent mais que le petit peuple adule. Il y a une fuite perpétuelle en avant chez ce personnage qui se révèle surdoué mais aussi très enfant, avec la police et le clergé qui le pourchassent et qui finiront par l'attraper pour le condamner à la prison perpétuelle. Ça, c'est pour la trame, mais l'histoire ne s'arrête pas là et rebondit constamment, y compris après ce que l'on croyait être la fin. Et quand on y arrive, à la fin, c'en est presque décevant que ça s'arrête tant on a envie de continuer. Vraiment, ça vaut la peine de le lire ! Plein d'humour, d'originalité, de connaissances historiques, d'évasion sous toutes formes, d'émotions, de tournures langagières, d'allusions qui peuvent même renvoyer à notre époque... Parce que c'est aussi un réquisitoire contre les religions, contre l'injustice sociale, contre l'interdiction d'en rire, etc. Un gros gros plaisir.

S'il y a bien un livre qui me donne envie d'en parler, c'est celui-ci. Superbe écriture qui recrée le climat du XVIIIème siècle. Mais bien au-delà de la simple histoire romanesque d'un homme hors du commun pour son époque, il y a dans ce récit tout un lot d'implications qui en font un véritable traité pour la tolérance, pour le droit à la folie douce ou à la magie du rêve. Le Compère Laurent, pour moi, fait partie de ces livres qui marquent et dont on se souvient. Je le conseillerai à tout mon entourage.